Correspondance 1812-1876, 5/1868/DCLXXVII

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DCLXXVII

À GUSTAVE FLAUBERT, À CROISSET


Paris, août 1868.


Pour le coup, cher ami, il y a une rafle sur les correspondances. De tous les côtés, on me reproche à tort de ne pas répondre. Je t’ai écrit de Nohant, il y a environ quinze jours, que je partais pour Paris, afin de m’occuper de Cadio : — et, je repars pour Nohant, demain dès l’aurore, pour revoir mon Aurore. J’ai écrit, depuis huit jours, quatre tableaux du drame, et ma besogne est finie jusqu’à la fin des répétitions, dont mon ami et collaborateur, Paul Meurice, veut bien se charger. Tous ses soins n’empêchent pas que les débrouillages du commencement ne soient qu’un affreux gâchis. Il faut voir les difficultés de monter une pièce, pour y croire, et, si l’on n’est pas cuirassé d’humour et de gaieté intérieure pour étudier la nature humaine, dans les individus réels que va recouvrir la fiction, il y a de quoi rager. Mais je ne rage plus, je ris ; je connais trop tout ça, pour m’en émouvoir et je t’en conterai de belles quand nous nous verrons.

Comme je suis optimiste quand même, je considère le bon côté des choses et des gens ; mais la vérité est que tout est mal et que tout est bien en ce monde.

La pauvre Thuillier n’est pas brillante de santé ; mais elle espère porter le fardeau du travail encore une fois. Elle a besoin de gagner sa vie, elle est cruellement pauvre. Je te disais, dans ma lettre perdue, que Sylvanie[1] avait passé quelques jours à Nohant. Elle est plus belle que jamais et bien ressuscitée après une terrible maladie.

Croirais-tu que je n’ai pas vu Sainte-Beuve ? que j’ai eu tout juste ici le temps de dormir un peu et de manger à la hâte ? C’est comme ça. Je n’ai entendu parler de qui que ce soit en dehors du théâtre et des comédiens. J’ai eu des envies folles de tout lâcher et d’aller te surprendre deux heures ; mais on ne m’a pas laissé un jour sans me tenir aux arrêts forcés.

Je reviendrai ici à la fin du mois, et, quand on jouera Cadio, je te supplierai de venir passer ici vingt-quatre heures pour moi. Le voudras-tu ? Oui ; tu es trop bon troubadour pour me refuser. Je t’embrasse de tout mon cœur, ainsi que ta chère maman. Je suis heureuse qu’elle aille bien.

G. SAND.

  1. Madame Arnould-Plessy.