Correspondance 1812-1876, 5/1869/DCXCVIII

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DCXCVIII

À MAURICE SAND, À NOHANT


Paris, 14 mai 1869.


On se croirait en 1848 depuis hier. On chante la Marseillaise à tue-tête dans les rues, et personne ne dit rien. Ce soir, quelques centaines d’étudiants, suivis de quelques blouses, ont passé trois fois sur mon boulevard, en chantant… faux comme toujours.

La Marseillaise ne viendra jamais à bout d’être chantée juste. Les boutiquiers, toujours braves, se sont hâtés de fermer boutique. Les réunions électorales sont très orageuses, et la police est très modérée jusqu’ici ; cela pourra-t-il durer ? Il y a quelque chose dans l’air. Le public peut-il agir contre la troupe ? Il serait écrasé. Mais le gouvernement peut-il sévir contre le public électoral ? Ce serait jouer son va-tout. On en est là.

Rochefort et Bancel sont les lions du moment. On garde un bon souvenir à Barbès. De Ledru-Rollin et des siens, pas plus question que s’ils n’avaient jamais existé.

Voilà tout ce que je sais. Je suis trop occupée pour m’informer. Les jours passent comme des heures à ranger, trier, et me garder des visites. J’ai dîné avec Plauchut, et nous avons fait ensuite une partie de dominos. Hier, j’ai dîné rue de Courcelles, avec Théo, Flaubert, les Goncourt, Taine, etc. On n’a parlé que de littérature, et, comme de coutume, on n’a été d’accord sur rien.

Je me porte bien ; j’irai à Palaiseau après-demain probablement. Je vous bige mille fois. Deux jours sans nouvelles de vous ! Il n’y a personne de malade, au moins ?

Hier, Taine m’a parlé de toi avec de grands éloges. La princesse a dit que c’était grand dommage que tu ne fisses plus de peinture. Taine a dit : « Mais il fait de la bonne littérature ; c’est un esprit très substantiel et un talent sérieux. » Et puis il m’a dit qu’il avait lu dernièrement mes Maîtres sonneurs, et que c’était tout aussi beau que Virgile. Rien que ça ! Enfin il m’a parlé de mes affaires et il veut en parler à Hachette.