Correspondance 1812-1876, 6/1871/DCCXCVIII

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Texte établi par Calmann-Lévy,  (Correspondance Tome 6 : 1870-1876p. 106-109).


DCCXCVIII

À M. ANDRÉ BOUTET, À PARIS


Nohant, 26 mars 1871.


Cher ami, le Journal officiel de Versailles dit aujourd’hui que Flourens a été tué, son corps porté à Versailles, — que M. Assi est déposé par les siens pour avoir blâmé l’expédition sur Versailles. C’est maintenant le règne des plus furieux à l’hôtel de ville. La déroute est complète : les gardes nationaux du parti qui ont pu rentrer dans Paris, disent qu’ils ont été trahis, livrés ; qu’on leur avait fait croire que le mont Valérien était à eux, et que c’est le mont Valérien justement qui les a foudroyés ; que les fameuses pièces de 7 n’ont pu leur servir, faute de gargousses et de munitions. Il y en a qui ramènent prisonniers leurs officiers comme les ayant trahis. Dans tout cela, et en faisant la part des exagérations de la réaction, comme il y a des citations de tous les journaux à l’Officiel ; que les circulaires de Thiers sont très affirmatives, et que les citations des journaux de la Commune sont très significatives, on peut conclure avec certitude que le parti de la Commune se désorganise rapidement et qu’il est incapable de triompher par la force, même dans l’intérieur de Paris, en supposant qu’il veuille énergiquement s’y défendre. Espérons qu’il n’osera pas le vouloir et qu’il y aura transaction.

Ce qui arrive était à prévoir. Le parti républicain est trop divisé, la réaction plus unie aura toujours la force. Nous eussions pu, par la dignité et la fermeté des opinions progressistes, la contraindre moralement à nous laisser la liberté. Il fallait une politique de ménagement et de patience. Thiers était dans le vrai. La réalité des faits, la nécessité du bon sens parlaient par sa bouche. Il eût été bien temps de protester si l’on nous eût offert un prétendant. Mais cette politique ne faisait pas le compte des ambitions délirantes et de la vanité effrénée de certains meneurs. Le peuple, toujours dupe des passions d’autrui, et très démoralisé par les mœurs de l’Empire, payera les fautes et les crimes.

L’Officiel dit qu’au milieu de ces orages, l’Assemblée prépare un projet de loi qui serait très conciliant ; il en donne la teneur : ce n’est pas un idéal, mais c’est peut-être le possible. Thiers a-t-il réussi à donner de la confiance à cette Assemblée et à la rendre moins réactionnaire ? Ses décisions vont dépendre du sort de Paris, qui déserte en masse (les classes aisées de toutes les opinions). Si les insurgés transigeaient, l’Assemblée transigerait aussi. Mais, s’il y a résistance, barricades, embrasement de Paris, les Prussiens couperont court au différend et la monarchie sortira de nos ruines.

Plauchut est ici, avec les Lambert. Il m’a remis les mille francs. Nous nous portons tous bien ; mais quelles anxiétés ! quelles tristesses !

Vous devez avoir à votre mairie les dépêches que Thiers envoie tous les jours aux préfets et que les maires doivent afficher ou communiquer. Les journaux que nous recevons de Versailles en sont la confirmation. De Paris, on ne reçoit plus rien. Les insurgés n’ont pu organiser la poste ; d’ailleurs, elle est au caprice du premier venu. On ouvre, on ferme les communications ; ce sont les Prussiens qui les maintiennent pour l’Est.

Encore quelques jours et le drame sera dénoué ; espérons que la République n’y sombrera pas. Les insurgés diront qu’elle est finie, puisqu’ils ont plus d’aversion pour leurs modérés que pour les Prussiens et les cléricaux. Ceux-là, on ne les contentera jamais : il n’y en a que pour eux. Ils nous tuent. Mais la France leur résiste, ils ont échoué dans toutes les villes.

Donnez-nous de vos nouvelles, chers amis ; nous vous embrassons tous et bien affectueusement.

G. SAND.