Correspondance 1812-1876, 4/1857/CDXVII

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CDXVII

AU MÊME


Nohant, 8 décembre 1857.


Mes pressentiments n’étaient donc que trop fondés. Je ne sais si c’est un malheur pour l’avenir de la Presse, je ne le crois pas[1]. Mais ce qui m’inquiète, c’est votre position, que vous semblez regarder comme compromise dans la bagarre. Je ne peux même pas me livrer à des suppositions, ne sachant pas quelle part d’influence votre ami de Bellevue[2] a dans l’affaire. Si ce n’est pas indiscret de ma part de vous le demander, dites-le-moi ; mais, en me répondant ou ne me répondant pas sur ce point, ne me laissez pas ignorer ce qui vous intéresse personnellement et en quoi, par hasard, du fond de ma Thébaïde, je pourrais vous être utile. Ce serait une joie pour moi d’en trouver l’occasion pour la saisir aux cheveux, et je ne craindrais pas de la tirer bien fort, cette belle chevelure qui nous effleure souvent à notre insu, comme celle des comètes.

Pour ma part, je me chagrine un petit peu aussi ; car j’ai contribué, dans le passé, à la fatale somme des avertissements. La punition de la Daniella tombe à présent sur les reins de Bois-Doré, qui doivent être cassés par ce coup de massue. Le public oublie vite et ne se reprend guère d’amitié pour une chose interrompue.

Mais tout ça n’empêche pas que l’article de Peyrat ne soit bien, et je trouve la rigueur très maladroite en somme. Ne concluait-il pas pour le serment ? et la Presse ne va-t-elle pas retrouver des abonnés au lieu d’en perdre ?

Vous êtes bien l’obligeance personnifiée, d’avoir pensé à mes bouquins en dépit des ennuis, des inquiétudes et du mal de tête. Envoyez-moi des ouvrages que vous me citez, ceux que vous me croirez utiles, mon sujet donné. Il me faut une couleur locale de la Dalécarlie au XVIIIe siècle et une couleur historique de la cour, de la ville et de la campagne sous les deux règnes qui précèdent celui de Gustave III. Je ferai bien cette couleur avec les événements ; mais je n’en sais pas le détail, et tout ce que je peux consulter chez moi passe sous silence, ou peu s’en faut, l’affaire des chapeaux et des bonnets.

J’ai les travaux de Marmier publiés dans les vingt-cinq premières années de la Revue des Deux Mondes ; mais ce que je cherche ne s’y trouve pas. Si son Histoire de la Scandinavie ne traite que des temps anciens, elle ne me tirera pas d’affaire. Décidez et faites comme pour vous. Surtout faites vite, à condition que vous ne serez pas malade ; et retenez ce que je vous devrai, sur ce que je vais demander à la caisse de M. Rouy[3] : car il m’est redu pas mal sur Bois-Doré et je suis dans une petite crise financière qui n’est pas sans exemple dans mon budget annuel. Je pense que ma demande ne sera pas considérée comme une méfiance, je suis à mille lieues de cela. C’est tout simplement force majeure dans mes affaires personnelles.

Autre chose, à présent ! si vous n’êtes plus tenu par le collier, et que vous puissiez considérer ce temps d’arrêt comme un temps de vacances, venez le passer chez nous ; vous travaillerez, vous me lirez ce que vous avez de fait, et votre temps ne sera pas perdu.

Encore autre chose. Je vous ai envoyé l’article sur madame Allart. Comme il s’agit de lui être utile, nous n’attendrons pas, n’est-il pas vrai, la réapparition de la Presse ! Si vous en avez l’occasion, faites passer cet article ailleurs, le plus tôt que l’on pourra.

  1. La publication de la Daniella dans la Presse avait valu à ce journal deux avertissements successifs, au commencement de 1857 ; et, un troisième et dernier lui ayant été donné pour un article de M. Alphonse Peyrat, au mois de décembre de la même année, cette feuille se trouvait dès lors exposée à une suspension sans forme de procès.
  2. Le prince Napoléon (Jérôme).
  3. Caissier du journal la Presse.