Correspondance 1812-1876, 6/1871/DCCLXXVII

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Texte établi par Calmann-Lévy,  (Correspondance Tome 6 : 1870-1876p. 62-63).


DCCLXXVII

À M. CHARLES PONCY, À TOULON


Nohant, 17 janvier 1871.


Maurice me charge de vous remercier de vos vers qu’il trouve charmants, et je vous remercie de ceux que vous m’adressez et qui sont réellement très beaux. Je voudrais être poète ; car, à l’heure qu’il est, la prose ne mérite pas d’être écrite. Elle est trop raisonneuse et elle retombe toujours dans la plate réalité. Aussi, je n’ai le cœur à rien et je vis de chagrin et d’effroi.

Pauvre Paris ! C’était la moitié de mon âme. C’est là que je jouissais de la civilisation avec quelques amis, qui l’appréciaient en la critiquant. C’est là que l’imagination se remontait dans une vie de liberté individuelle et de riante excitation qu’on ne trouvait nulle part ailleurs dans le monde.

Vous n’avez pas connu Paris. Il faut en être, il faut y avoir vécu d’une certaine manière pour se rendre compte du charme des rotations avec toutes les classes de la société. Je n’aimais pas à y rester longtemps : le climat m’était tout à fait contraire, et je ne sais pas vivre séparée de la nature et privée de recueillement.

Mais, dans ces dernières années, j’y ai passé des semaines que rien ne peut remplacer. Tous mes chers amis sont sur la brèche, héroïques ! Les retrouverai-je tous ? M’en restera-t-il un seul ? Mon petit appartement, si propre et si frais, est au centre de la mitraille. Y rentrerai-je jamais ? Peu m’importe, si mes amis sont épargnés et si l’honneur triomphe.

Ah ! que l’on souffre, et que les jours paraissent longs !

Nous vous embrassons tous bien tendrement, mes chers enfants. Puissiez-vous dire vrai dans vos vers !