Correspondance 1812-1876, 6/1875/CMXXVII

La bibliothèque libre.


Texte établi par Calmann-Lévy,  (Correspondance Tome 6 : 1870-1876p. 336-337).


CMXXVII

À M. EDMOND PLAUCHUT, À PARIS


Nohant, 25 février 1875.


Dépêche-toi d’en finir avec ton volume, d’empocher ton argent et de revenir passer le printemps avec nous. Les petites ne sont pas contentes de toi ; elles ne se consoleront pas de l’absence de leur Plauchut, même avec des dindes et des huîtres faites à son image. Il faut venir, entends-tu, le plus tôt que tu pourras. Je vais avoir fini Flamarande dans huit ou dix jours.

Quel travail que d’écrire à mesure qu’on imprime ! Il ne faut pas s’arrêter un jour, et on est toujours dans la crainte d’être arrêté par quelque chose d’imprévu. Je lutte depuis huit jours contre ce chien de rhumatisme qui, deux fois déjà, m’a paralysé le bras droit. Maurice prétend que c’est la fatigue d’écrire qui offense le muscle ; mais, comme je me guéris aussitôt que la gelée cesse, je crois au rhumatisme. J’espère en triompher cette fois et achever ma tâche sans me refroidir. On m’écrit que le roman amuse beaucoup, est-ce vrai ?

Ta lettre me tourmente fort à l’endroit de Charles Rollinat. Qu’est-ce qu’il y a ? Je n’en sais rien. Je n’ai pas de ses nouvelles depuis très longtemps et il ne m’expliquait rien ; je lui ai répondu, lui offrant mes services comme toujours. Plus rien ; j’en étais inquiète et je comptais sur toi pour m’expliquer sa position. Tu m’écris, comme lui, par réticences et par énigmes.

Quant à ses Deux Hussards, la chose en elle-même est un chef-d’œuvre et, si ce n’est pas fidèlement traduit, ce que je ne peux pas savoir, c’est dix fois plus agréable à lire comme français que la forme donnée par les traducteurs aux ouvrages de Tourguenef, qu’il faut souvent deviner au lieu de comprendre du premier coup. Tu peux dire cela à Tourguenef de ma part. Ses ouvrages ont l’air d’être traduits par un russe. Le génie d’une langue ne se traduit dans une autre langue que par des équivalents, et, quand on s’attache à l’exactitude, on ne le rend pas.

Enfin je compte sur toi pour voir mon pauvre Charles et pour me dire ce qu’on peut faire pour lui ; je ne sais pas s’il est toujours à la Revue, tu ne m’en dis rien.

À bientôt, n’est-ce pas ? au moins, écris-nous souvent pour nous faire prendre patience. Nous te bigeons tous ; je vois que tu n’as pas reçu une lettre de moi, que je t’ai adressée à Antibes. Toute la nichée t’aime et t’appelle.

Est-on content à Paris de la République qui l’emporte ?