Correspondance de Voltaire/1711/Lettre 5

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Correspondance de Voltaire/1711
Correspondance : année 1711GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 8-9).
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5[1]. — À M. FYOT DE LA MARCHE[2].

Monsieur, j’ay différé deux ou trois jours à vous écrire afin de pouvoir vous dire des nouvelles de la tragédie que le père Lejay[3] vient de faire représenter : une grosse pluye a fait partager le spectacle en deux après dinées, ce qui a fait autant de plaisir aux écoliers que de chagrin au père Lejay ; deux moines se sont cassez le col l’un après l’autre si adroitement qu’ils n’ont semblé tomber que pour servir à notre divertissement ; le nonce de Sa Sainteté nous a donnez huit jours de congez. M. Thevenard a chanté, le père Lejay s’est enroué ; le père Porée[4] a prié Dieu pour obtenir un bon temps ; le ciel n’a pas été d’airain pour luy, au plus fort de sa prière, le ciel a donné une pluye abondante ; voylà à peu prez ce qui s’est passé icy. Il ne me reste plus pour jouir des vacances que d’avoir le plaisir de vous voir à Paris, mais bien loing de pouvoir vous posséder, je ne puis mesme avoir le bonheur de contenter mon amitié par une plus longue lettre ; la poste, qui va partir, me force de me dire à la hâte votre très humble et très obéissant serviteur et amy,

Arouet.


  1. Publiée par M. H. Beaune dans Voltaire au collége.
  2. Cette lettre n’est pas datée, mais elle est évidemment du 6 ou du 7 août 1711. On sait en effet que le 3 de ce mois, à l’occasion de la distribution des prix du collége Louis-le-Grand, le P. Lejay fit représenter « à midy précis » une tragédie intitulée Crésus, et un ballet : Apollon législateur, ou le Parnasse réformé, ballet meslé de chants et de déclamation, qui sera dansé à la tragédie de Crésus, le mercredi 5 août 1711. C’est le titre de la seconde pièce, imprimée, comme la première, à Paris, chez Louis Sévestre, in-4°, pages 8 et 14.
  3. Gabriel-François Lejay, petit-neveu de Nicolas Lejay, premier président du parlement de Paris, naquit dans cette ville en 1657 ou 1662, selon la Biographie universelle. Il passa dans la société de Jésus cinquante-sept années, dont dix-neuf furent consacrées à professer la rhétorique au collège Louis-le-Grand. En quittant la chaire d’éloquence, il fut nommé préfet de la congrégation établie dans le même collège, et mourut dans ces fonctions le 21 février 1734. On a de lui un certain nombre de tragédies, dont les PP. de Baecker donnent la liste complète, des discours et des traductions, entre autres celle des Antiquités romaines de Denys d’Halicarnasse, qui fut vivement critiquée par l’abbé Bellenger, devancé dans ce travail par le P. Lejay. Le Mercure de France, à partir de l’année 1717, renferme de curieuses analyses des nombreuses pièces que ce savant rhéteur faisait représenter par les écoliers de Louis-le-Grand. Le P. Lejay était un bon professeur et un excellent homme ; mais il ignorait l’art de se faire aimer de ses élèves, et notamment de Voltaire, qui ne se lassait pas de se moquer de lui. (H. B.)
  4. Tout le monde connaît le P. Porée. Il me suffira de rappeler ici qu’il naquit à Vende, près Caen, le 4 septembre 1667, et mourut à Paris le 10 janvier 1741. Les pères jésuites, ses confrères, ne crurent pas lui rendre un plus grand honneur qu’en inhumant son corps dans l’église du collége Louis-le-Grand, où il professait la rhétorique, alternativement avec le P. Lejay, depuis 1708. (H. B.)