Correspondance de Voltaire/1722/Lettre 60

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Correspondance de Voltaire/1722
Correspondance : année 1722GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 70-72).
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60. — À M. THIERIOT.
À Bruxelles, 11 septembre.

Je suis fort étonné de la colère de M. de Richelieu. Je l’estime trop pour croire qu’il puisse vous avoir parlé avec un air de mécontentement, comme si j’avais manqué à ce que je lui dois. Je ne lui dois que de l’amitié, et non pas de l’asservissement ; et, s’il en exigeait, je ne lui devrais plus rien. Je viens de lui écrire ; je ne vous conseille pas de le revoir, si vous vous attendez à recevoir de lui, en mon nom, des reproches qui auraient l’air d’une réprimande qu’il lui siérait très-mal de faire, et à moi de souffrir, d’autant plus que la veille de mon départ je lui écrivais[1] à Versailles, où il était. En voilà assez sur cet article. Je vous prie toujours très-instamment de m’envoyer le poëme de la Grâce[2], et de n’en rien dire à personne. Vous n’avez qu’à adresser le paquet à la Haye, chez Mme  de Rupelmonde ; j’y serai dans trois ou quatre jours.

À l’égard de l’homme aux menottes[3], je compte revenir à Paris dans quinze jours, et aller ensuite à Sully. Comme Sully est à cinq lieues de Gien, je serai là très à portée de faire happer le coquin, et d’en poursuivre la punition moi-même, aidé du secours de mes amis. Je vous avais d’abord prié d’agir pour moi dans cette affaire, parce que je n’espérais pas pouvoir revenir à Paris de quatre mois ; mais mon voyage étant abrégé, il est juste de vous épargner la peine que vous vouliez bien prendre. Vous ne serez pourtant pas quitte de toutes les négociations dont vous étiez chargé pour moi.

Je vous envoie les idées des dessins d’estampes, que j’ai rédigées.

coypel[4],

À la tête du poëme, Henri IV, au naturel, sur un trône de nuages, tenant Louis XV entre ses bras, et lui montrant une Renommée qui tient une trompette où sont attachées les armes de France :

Disce, puer, virtutem ex me verumque laborem.

(Æn., xii, v. 435.)


galloche[5]

Ier chant. — Une armée en bataille ; Henri III et Henri IV s’entretenant à cheval, à la tête des troupes ; Paris dans l’éloignement ; des soldats sur les remparts ; un moine sur une tour, avec une trompette dans une main et un poignard dans l’autre.

galloche

IIe chant. — Une foule d’assassins et de mourants ; un moine en capuchon, un prêtre en surplis, portant des croix et des épées ; l’amiral de Coligny qu’on jette par la fenêtre ; le Louvre, le roi, la reine mère, et toute la famille royale, sur un balcon, une foule de morts à leurs pieds.

detroy[6]

IIIe chant. — Le duc de Guise au milieu de plusieurs assassins qui le poignardent.

galloche

IVe chant. — Le château de la Bastille, dont la porte est ouverte ; on y fait entrer les membres du parlement deux à deux. Trois furies, avec des habits semés de croix de Lorraine, sont portées dans les airs sur un char traîné par des dragons.

detroy

Ve chant. — Jacques Clément, à genoux devant Henri III, lui perce le ventre d’un poignard ; dans le lointain, Henri IV, sur trône, reçoit le serment de l’armée.

coypel

[7]VIe chant. — Henri IV armé, endormi au milieu du camp ; saint Louis, sur un nuage, mettant la couronne sur la tête de Henri IV, et lui montrant un palais ouvert ; le Temps, la faux à la main, est à la porte du palais, et une foule de héros dans le vestibule ouvert.

detroy

VIIe chant. — Une mêlée, au milieu de laquelle un guerrier embrasse en pleurant le corps d’un ennemi qu’il vient de tuer ; plus loin, Henri IV entouré de guerriers désarmés, qui lui demandent grâce à genoux.

coypel.

VIIIe chant. — L’Amour sur un trône, couché entre des fleurs ; des nymphes et des furies autour de lui ; la Discorde tenant deux flambeaux, la tête couverte de serpents, parlant à l’Amour qui l’écoute en souriant ; plus loin, un jardin où l’on voit deux amants couchés sous un berceau ; derrière eux, un guerrier qui paraît plein d’indignation.

galloche

IXe chant. — Les remparts de Paris couverts d’une multitude de malheureux que la faim a desséchés, et qui ressemblent à des ombres ; une divinité brillante qui conduit Henri IV par la main ; les portes de Paris par terre ; le peuple à genoux dans les rues.

Ayez la charité de charger Coypel de trois dessins, et Detroy, de quatre. Je chargerai du reste Picard[8], que je crois à la Haye. Ayez la bonté de me mander les estampes que Detroy et Coypel auront choisies. Dites-leur à tous deux que j’aurai incessamment l’honneur de leur écrire.

On m’a fait les honneurs de Bruxelles à merveille : on vient de me mener dans le plus beau b… de la ville, et voici les vers que j’y ai faits :

L’Amour, au détour d’une rue,
M’abordant d’un air effronté,
M’a conduit en secret dans ce bouge écarté.
J’ai d’abord sur un lit trouvé la Volupté
Sans jupe ; elle était belle, et fraîche, et fort dodue.
La nymphe avec lubricité
M’a dit : « Je t’offre ici ma beauté simple et pure.
Des plaisirs sans chagrin, des agréments sans fard.
L’Amour est en ces lieux enfant de la nature,
Partout ailleurs il est enfant de l’art. »

  1. Cette lettre manque.
  2. Par L. Racine, 1722, in-12 : voyez tome XXIII, page 173.
  3. Toujours Beauregard.
  4. Charles-Antoine Coypel, premier peintre du roi par faveur, poète tragique et comique oublié. Mort le 14 juin 1752. C’est lui que Voltaire appelle notre ami Coypel, dans une de ses épigrammes.
  5. Peintre mort en 1761.
  6. Peintre mort en 1752.
  7. Voltaire ayant, dans l’édition de 1728, ajouté un VIe chant, le VIe est devenu le VIIe, et ainsi jusqu’au IXe devenu le Xe.
  8. Bernard Picard, dessinateur et graveur, né en 1673, mort en 1733.