Correspondance de Voltaire/1726/Lettre 164

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Correspondance de Voltaire/1726
Correspondance : année 1726GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 158).
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164. — À MADAME DE FERRIOL[1]
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Calais, 6 mai.

N’auriez-vous point, madame, quelques ordres à me donner pour M. ou pour Mme  de B***[2] ? j’attends à Calais que vous daigniez me charger de quelques commissions. Je suis ici chez M. Dunoquet[3], et je sens bien à la réception qu’il me fait qu’il croit que vous m’honorez d’un peu d’amitié. La première chose que je fais dans ce pays-ci est de vous écrire. C’est un devoir dont mon cœur s’acquitte. Vos bontés pour moi sont aussi grandes que mes malheurs, et sont bien plus vivement ressenties. Vous avez toujours été constante dans la bienveillance que je vous ai vue pour moi, et je vous assure que vous êtes ce que je regrette le plus en France, Si j’avais pu vivre selon mon choix, j’aurais assurément passé ma vie dans votre cour ; mais ma destinée est d’être malheureux, et par conséquent loin de vous. Permettez-moi de saluer et d’embrasser M. de Pont-de-Veyle[4] et M. d’Argental. Ayez la bonté d’assurer Mme  de Tencin qu’une de mes plus grandes peines, à la Bastille, a été de savoir qu’elle y fût[5]. Nous étions comme Pyrame et Thisbé : il n’y avait qu’un mur qui nous séparât, mais nous ne nous baisions point par la fente de la cloison. Et vous, la nymphe de Circassie[6], et surtout celle de M. Dunoquet, dont vous avez rendu la femme jalouse, je vous jure que s’il y avait seulement en France trois personnes comme vous, je me pendrais de désespoir d’en sortir. Si vous voulez mettre le comble aux consolations que je reçois dans mon Malheur, faites-moi l’honneur de me donner de vos nouvelles et de m’envoyer vos ordres.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Sans doute M. et Mme  de Bolingbroke.
  3. Trésorier des troupes.
  4. Antoine de Ferriol, comte de Pont-de-Veyle, frère aîné de d’Argental.
  5. Elle y était entrée le même jour que Voltaire (17 avril).
  6. Mlle  Aissé.