Correspondance de Voltaire/1733/Lettre 372

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Correspondance de Voltaire/1733
Correspondance : année 1733GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 390).
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372. — Á M. BERGER.

J’ai reçu à la fois trois lettres de vous. Je suis trop heureux d’avoir un ami comme vous. Les autres se contentent de dire : « C’est dommage ; » mais vous êtes rempli des attentions les plus obligeantes, et je regarderai toujours votre commerce comme la consolation la plus flatteuse de votre absence.

J’ai fait une grande sottise de composer un opéra[1] ; mais l’envie de travailler pour un homme comme M. Rameau m’avait emporté. Je ne songeais qu’à son génie, et je ne m’apercevais pas que le mien (si tant est que j’en aie un) n’est point fait du tout pour le genre lyrique. Aussi je lui mandais, il va quelque temps, que j’aurais plus tôt fait un poëme épique que je n’aurais rempli des canevas. Ce n’est pas assurément que je méprise ce genre d’ouvrage : il n’y en a aucun de méprisable ; mais c’est un talent qui, je crois, me manque entièrement. Peut-être qu’avec de la tranquillité d’esprit, des soins, et les conseils de mes amis, je pourrai parvenir à faire quelque chose de moins indigne de notre Orphée ; mais je prévois qu’il faudra remettre l’exécution de cet opéra à l’hiver prochain. Il n’en vaudra que mieux, et n’en sera que plus désiré du public. Notre grand musicien, qui a sans doute des ennemis en proportion de son mérite, ne doit pas être fâché que ses rivaux passent avant lui. Le point n’est pas d’être joué bientôt, mais de réussir. Il vaut mieux être applaudi tard que d’être sifflé de bonne heure. Il n’y a que le plaisir de vous voir que je ne puis différer plus longtemps. Je me flatte que je vous embrasserai cet hiver. Le jour que je vous verrai sera ma première consolation, et l’empressement de vous obéir, auprès de M, de Richelieu, sera la seconde. Je vous prie de m’écrire souvent.

  1. Samson. Voyez tome II, page I.