Correspondance de Voltaire/1735/Lettre 515

La bibliothèque libre.
Correspondance de Voltaire/1735
Correspondance : année 1735GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 540-541).
◄  Lettre 514
Lettre 516  ►

515. — Á M. L’ABBÉ D’OLIVET.
À Cirey, par Vassy en Champagne, ce 4 octobre.

Quel procédé est-ce là ? Pourquoi donc ne m’écrivez-vous point ? Avez-vous, s’il vous plaît, un plus ancien ami que moi ? Avez-vous un approbateur plus zélé de vos ouvrages ? Je vous avertis que ma colère contre vous est aussi grande que mon estime et que mon amitié, et qu’ainsi je dois être terriblement fâché. En un mot, je souhaite passionnément que vous m’écriviez, que vous me parliez de vous, de belles-lettres, d’ouvrages nouveaux. Je veux réparer le temps perdu ; je veux m’entretenir avec vous. Premièrement, je vous demande en grâce de me mander où je pourrais trouver le livre[1] pour lequel le pauvre Vanini fut brûlé. Ce n’est point son Amphitheatrum[2] ; je viens de lire cet ennuyeux Amphitheatrum : c’est l’ouvrage d’un pauvre théologien orthodoxe. Il n’y a pas d’apparence que ce barbouilleur thomiste soit devenu tout d’un coup athée. Je soupçonne qu’il n’y a nul athéisme dans son fait, et qu’il pourrait bien avoir été cuit, comme Gaufridi[3] et tant d’autres, par l’ignorance des juges de ce temps-là. C’est un petit point de l’histoire que je veux éclaircir, et qui en vaut la peine, à mon sens.

Il y a dans Paris un homme beaucoup plus brûlable : c’est l’abbé Desfontaines. Ce malheureux, qui veut violer tous les petits garçons et outrager tous les gens raisonnables, vient de payer d’un procédé bien noir les obligations qu’il m’a. Vous me demanderez peut-être quelles obligations il peut m’avoir. Rien que celle d’avoir été tiré de Bicêtre, et d’avoir échappé à la Grève. On voulait, à toute force, en faire un exemple. J’avais alors bien des amis que je n’ai jamais employés pour moi ; enfin je lui sauvai l’honneur et la vie, et je n’ai jamais affaibli par le plus léger procédé les services que je lui ai rendus. Il me doit tout ; et, pour unique reconnaissance, il ne cesse de me déchirer.

Savez-vous qu’on a imprimé une tragédie de César, composée de beaucoup de mes vers estropiés, et de quelques-uns d’un régent de rhétorique, le tout donné sous mon nom ? J’écrivis à l’abbé Desfontaines avec confiance, avec amitié, à ce sujet ; je le prie d’avertir, en deux mots, que l’ouvrage, tel qu’il est, n’est point de moi. Que fait mon abbé des Chauffours[4] ? Il broche, dans ses Malsemaines[5], une satire honnêtement impertinente, dans laquelle il dit que Brutus était un quaker, ignorant que les quakers sont les plus bénins des hommes, et qu’il ne leur est pas seulement permis de porter l’épée. Il ajoute qu’il est contre les bonnes mœurs de représenter l’assassinat de César ; et, après tout cela, il imprime ma lettre. Quels procédés il y a à essuyer de la part de nos prétendus beaux esprits ! Que de bassesses ! que de misères ! Ils déshonorent un métier divin. Consolez-moi par votre amitié et par votre commerce. Vous avez le solide des anciens philosophes et les grâces des modernes ; jugez de quel prix vos attentions seront pour moi. S’il y a quelque livre nouveau, qui vaille la peine d’être lu, je vous prie de m’en dire deux mots. Si vous faites quelque chose, je vous prie de m’en parler beaucoup.

  1. De admirandis naturæ reginæ deæque mortalium Arcanis Libri quatuor.1616, in-8o.
  2. Amphitheatrum æternæ providentiæ divino-magicum, etc., 1615, in-8o.
  3. Voyez tome XX, page 455, et tome XXX, le chapitre ix du Prix de la justice et de l’humanité.
  4. Des Chauffours, gentilhomme lorrain, brûlé en place de Grève comme pédéraste. (Cl.)
  5. Nom que Voltaire donnait aux Observations que Desfontaines publiait, sous forme de Lettres, toutes les semaines. Même qualification fut donnée par lui aux feuilles de Fréron, qu’il désigne sous le nom de l’Homme aux semaines, dans la Pucelle, ch. XVIII, v. 167. Voyez aussi la lettre 215.