Correspondance de Voltaire/1738/Lettre 868

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Correspondance : année 1738GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 476-477).
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868. — À M. PITOT[1].
18 mai.

Mon cher philosophe, en vous remerciant de tout mon cœur de M. Cousin[2], que vous me procurez ; il n’a qu’à travailler avec M. Nollet, sitôt la présente reçue ; et puisqu’il veut bien recevoir un petit honoraire, il lui sera compté du jour qu’il voudra bien aller chez M. l’abbé Nollet. Il pourra d’ailleurs m’acheter beaucoup d’instruments qui serviront à ses occupations et à ses plaisirs, quand il sera à Cirey. Vous voulez bien que je mette cette lettre pour lui dans la votre.

Je viens enfin de voir un exemplaire des Eléments de Newton. J’ai eu à peine encore le temps de le parcourir ; il est honteux combien cela fourmille de fautes, combien les cinq ou six derniers chapitres sont dérangés et barbouillés. J’avais bien raison de chercher à faire une édition correcte, à Paris, et franchement on aurait pu le permettre. Je suis très-affligé ; il y aura, sans doute, bien des gens qui prendront plaisir à m’imputer des erreurs qui ne sont pas les miennes. Il est triste de voir son enfant aussi mal traité ; mais encore faudrait-il ne pas reprocher au père les défauts de l’enfant que l’on a gaté en nourrice.

Il faut que je vous confie une autre affliction que j’ai sur le cœur, Peut-être m’adresse-je à mon juge, mais je suis toujours sûr que je m’adresse à mon ami.

J’ai composé pour le prix dont le sujet était la Nature et la Propagation du feu ; mon numéro était 7°, ma devise :

Ignis ubique latet, maturam amplectitur omnem :
Cuncta parit, renovat, dividit, unit, alit.

M. de Réaumur, à ce que l’on me mande, a dit que cette pièce avait concouru, et il paraît même qu’il lui aurait volontiers donné le prix ; mais, dit-il, cet ouvrage était fondé sur des principes un peu trop durs, et c’est ce qui a fait son malheur. Je suis bien loin assurément de me plaindre ; je me crois très-bien jugé ; je regarde même comme un très-grand bonheur d’avoir concouru ; mais je suis pourtant bien fâché de n’avoir pas eu le prix : c’eût été pour moi un agrément infini dans les circonstances présentes. Vous avez été probablement mon juge ; M. Dufay l’aura été aussi. Franchement, dites-moi, croyez-vous que l’ouvrage soit passable ? Pourrai-je obtenir de l’Académie qu’on l’imprime à la suite de la pièce couronnée ? Pourrai-je voir la pièce qui a eu la préférence ? Pourriez-vous me dire qui en est l’auteur’ ? Ai-je eu effectivement l’honneur de balancer un moment les suffrages ?

Parlez-moi de tout cela à cœur ouvert, comme à un honnête homme qui n’abusera jamais de votre confiance et de vos conseils.

Je crois vous avoir mandé que j’avais envoyé un mémoire à tous les journaux, pour me justifier sur l’édition des Éléments de Newton. Je vous supplie d’apprendre, en attendant, la vérité à ceux qui vous en parleront.

Mme  la marquise du Châtelet vous fait mille compliments ; elle voudrait bien que vous pussiez venir à Cirey ; elle ne serait pas la seule à qui vous feriez un plaisir extrême.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Mécanicien et machiniste.