Correspondance de Voltaire/1739/Lettre 1045

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Correspondance de Voltaire/1739
Correspondance : année 1739GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 143).

1045. — À M. HELVÉTIUS.
À Circey, ce 28 janvier.

Mon cher ami, tandis que vous faites tant d’honneur aux belles-lettres, il faut aussi que vous leur fassiez du bien ; permettez-moi de recommander à vos bontés un jeune homme d’une bonne famille, d’une grande espérance, très-bien né, capable d’attachement et de la plus tendre reconnaissance, qui est plein d’ardeur pour la poésie et pour les sciences, et à qui il ne manque peut-être que de vous connaître pour être heureux. Il est fils d’un homme que des affaires, où d’autres s’enrichissent, ont ruiné ; il se nomme d’Arnaud ; beaucoup de mérite et de malheur font sa recommandation auprès d’un cœur comme le vôtre. Si vous pouviez lui procurer quelque petite place, soit par vous, soit par M. de La Popelinière, vous le mettriez en état de cultiver ses talents, et vous rempliriez votre vocation, qui est de faire du bien. Vous m’en faites à moi, car vous avez réchauffé une âme tiède ; jamais votre illustre père n’a fait de si belle cure.

Je lui[1] ai envoyé un autre Mémoire où je sacrifie enfin le littéraire au personnel ; mais M. d’Argental pense que c’est une nécessité ; vous le pensez aussi, et je me rends. Ma présence serait nécessaire à Paris ; mais je ne peux quitter mes amis pour mes propres affaires. Mme du Châtelet vous fait bien des compliments ; on ne peut avoir plus d’estime et d’amitié qu’elle en a pour vous. Nous attendons de vous des choses qui feront l’agrément de notre retraite, et qui nous consoleront, si cela se peut, de votre absence.

Je vous embrasse avec les transports les plus vifs d’amitié, d’estime, et de reconnaissance.

  1. À Thieriot, dont Helvétius venait de réchauffer l’âme tiède.