Correspondance de Voltaire/1739/Lettre 1047

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Correspondance de Voltaire/1739
Correspondance : année 1739GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 145-146).

1047. — À M. L’ABBÉ D’OLIVET[1].
Ce 29.

On m’apporte dans le moment le libelle de l’abbé Desfontaines contre vous[2], mon cher maître. Je crois que le public en pensera comme votre Académie. En vérité, ce misérable n’a voulu que gagner de l’argent : car quel est le but de son livre, s’il vous plait ? De prouver qu’on pardonne en poésie des tours hardis, des phrases incorrectes, que la prose ne souffre pas ? Eh ! n’est-ce pas précisément ce que vous avez dit ? à cela près que vous l’avez dit le premier, et en homme qui possède sa langue et qui est un des plus grands maîtres. Ou il vous combat mal à propos, ou il retourne vos idées. Était-ce la peine de faire un livre ? Il l’a imprimé à Avignon ;

Mais je crois qu’il n’est pas sauvé,
Quoiqu’il soit en terre papale[3].

M. Thieriot vous a sans doute fait voir le Mémoire[4] que je suis obligé de publier contre cet ennemi de la probité et de la vérité. Je viens d’y ajouter un article qui vous regarde ; c’est dans l’énumération des gens de mérite qu’il a attaqués. Voici les paroles : « Il s’honorait de l’amitié et des instructions de M. l’abbé d’Olivet. Il fait imprimer furtivement un livre contre lui ; il ose l’adresser à l’Académie française, et l’Académie flétrit à jamais dans ses registres le livre, la dédicace, et l’auteur. »

Je vous prie de vous souvenir de ce que je vous ai mandé au sujet de l’écrit que je vous communiquai, il y a quelques années, et duquel on a tiré les matériaux du Préservatif.

Pour vous faire voir que l’abbé Desfontaines ne me prend pas tout mon temps, je vous envoie un des nouveaux morceaux qui entreront dans la belle édition qu’on prépare à Paris de la Henriade. J’y joins le commencement de l’Histoire du Siècle de Louis XIV. Ne souffrez pas qu’on en prenne copie. Envoyez-moi, en échange, votre préface sur Cicéron, car j’aime à gagner à mes marchés. Communiquez tout cela, je vous en prie, à vos amis, et surtout à M. l’abbé Dubos, et tâchez de tirer de lui quelques bonnes instructions sur mon histoire, à laquelle je consacrerai les dernières années de ma vie.

Je vous prie de me faire avoir le Coup d’État de Silhon[5] ; vous avez cela dans votre bibliothèque de l’Académie ; M. Thieriot me l’enverra. Dites-moi en quelle année le Testament prétendu du cardinal de Richelieu commença à paraître. J’ai de bonnes preuves que ce testament n’est pas plus de lui que le Testament de Colbert, de Louvois, du duc de Lorraine Charles, et tant d’autres testaments, ne sont de ceux à qui on en fait honneur. Celui qu’on attribue à Richelieu est, comme tous les autres, plein de contradictions. Adieu ; je vous embrasse.

  1. Lettre mise à tort, croyons-nous, en décembre 1738.
  2. Racine vengé, ou Examen des remarques grammaticales de M. l’abbé d’Olivet sur les Œuvres de Racine, à Avignon (Paris), 1739, in-12.
  3. Voyez le Voyage de Bachaumont et Chapelle.
  4. Voyez tome XXIII, page 27.
  5. Ou plutôt Sirmond, auteur du Coup d’Éstat de Louis XIII, 1631, in-8o