Correspondance de Voltaire/1739/Lettre 1073

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Correspondance de Voltaire/1739
Correspondance : année 1739GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 175-176).

1073. — À M. BERGER.
À Cirey, ce 16 février.

Je vous supplie, monsieur, sitôt la présente reçue, d’aller chez M. d’Argental. C’est l’ami le plus respectable et le plus tendre que j’aie jamais eu. Il fait toute ma consolation et toute mon espérance dans cette affaire, et sa vertu prend le parti de l’innocence contre l’homme le plus scélérat, le plus décrié, mais le plus dangereux qui soit dans Paris, Comme il n’a pas toujours le temps de m’écrire, et que j’ai un besoin pressant d’être instruit à temps, de peur de faire de fausses démarches, et que, d’ailleurs, il demeure trop loin de la grande poste, il pourra vous instruire des choses qu’il faudra que je sache. Il connaît votre probité ; parlez-lui, écrivez-moi, et tout ira bien.

Il s’en faut bien que je sois content de Saint-Hyacinthe. Il n’a pas plus réparé l’infâme outrage qu’il m’a fait qu’il n’est l’auteur du Mathanasuis. N’avez-vous pas vu l’un et l’autre ouvrage ? N’y reconnaissez-vous pas la différence des styles ? C’est Sallengre et S’Gravesande qui ont fait le Mathanasuis[1] ; Saint-Hyacinthe n’y a fourni que la chanson. Il est bien loin, ce misérable, de faire de bonnes plaisanteries. Il a escroqué la réputation d’auteur de ce petit livre, comme il a volé Mme Lambert. Infâme escroc et sot plagiaire, voilà l’histoire de ses mœurs et de son esprit. Il a été moine, soldat, libraire, marchand de café, et il vit aujourd’hui du profit du biribi. Il y a vingt ans qu’il écrit contre moi des libelles ; et, depuis Œdipe, il m’a toujours suivi comme un roquet qui aboie après un homme qui passe sans le regarder. Je ne lui ai jamais donné le moindre coup de fouet ; mais enfin je suis las de tant d’horreurs, et je me ferai justice d’une façon qui le mettra hors d’état d’écrire.

Si vous voulez prévenir les suites funestes d’une affaire très-sérieuse, parlez-lui de façon à obtenir qu’il signe au moins un désaveu par lequel il proteste qu’il ne m’a jamais eu en vue, et que ce qui est rapporté dans l’abbé Desfontaines est une calomnie horrible ; je ne l’ai jamais offensé, je le défie de citer un mot que j’aie jamais dit de lui. Faites-lui parler par M. Rémond de Saint-Mard. Il y a à Paris une Mme de Champbonin qui demeure à l’hôtel de Modène ; c’est une femme serviable, active, capable de tout faire réussir ; voulez-vous l’aller trouver, et agir de concert ? Comptez sur moi, mon cher Berger, comme sur votre meilleur ami.

  1. Voyez la note 4, tome XXII page 257.