Correspondance de Voltaire/1739/Lettre 1129

La bibliothèque libre.
Correspondance de Voltaire/1739
Correspondance : année 1739GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 242).

1129. — MADAME LA MARQUISE DU CHATELET
À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
6 avril 1739.

Mon cher ami, ce qu’on exige de nous nous tourne la tête. J’aime mieux que votre ami sorte de France que de signer un écrit double avec l’abbé Desfontaines, et je ne faiblirai jamais sur cela. Mais je ne vois pas pourquoi on l’exigerait. Nous avons demandé une réparation : on nous dénie la justice ; nous n’en voulons plus ; cela me paraît tout simple. Il n’y a qu’à rendre à l’abbé Desfontaines son désaveu, et qu’il n’en soit plus parlé. M. du Châtelet peut prendre cela sur lui, et dire qu’il ne le veut pas : cela ôtera à M. Hérault tout prétexte de se fâcher ; et puis, après tout, je ne vois pas qu’il en eût sujet, et qu’il puisse être plus notre ennemi qu’il l’est. Je vous prie, engagez M. du Châtelet à nous tirer de ce labyrinthe ; il n’y a que lui qui le puisse, et, si vous le voulez, il le fera. Son honneur et celui de tous les amis de M. de Voltaire y est engagé : voilà une triste fin. Je lui écris lettre sur lettre pour l’y déterminer.

N’ètes-vous pas indigné de toutes les misérables brochures qui courent ? En vérité, M. d’Argenson se moque de nous. Mais détruisez donc, vous et Mlle Quinault, et tous les comédiens, cette calomnie que Mérope a été refusée[1]. Envoyez vos avis sur Zulime ; ils seront suivis. Il faut que votre ami travaille pour ne pas se désoler ; et, tout indigne que le public en est, je crois qu’il faut se dépêcher de lui donner une bonne tragédie.

Adieu, mon cher ami. Croyez que, sur cette infamie de signature, c’est moi qu’il faut prêcher plutôt que M. de Voltaire ; mais jamais je n’y consentirai : je l’aime mieux absent que déshonoré ; cela ferait trop rire ceux qui osent être ses envieux. Ah ! mon Dieu ! il eût fallu tout rompre à la première proposition. Comment cela peut-il s’imaginer ?

Je vous embrasse, mon cher ami, bien tendrement et bien tristement.

Votre ami ne sait rien de toutes les indignités qui courent.

  1. Composée de 1736 à 1738, la tragédie de Mérope ne fut jouée que le 20 février 1743. Mme de Turpin, dans son Précis de la vie de Voisenon, raconte que les comédiens refusèrent d’abord Mérope, mais que Voisenon les ayant fait rougir de leur peu de jugement, ils la reçurent ensuite. (Œuvres de Voisenon, 1781, tome 1er.)