Correspondance de Voltaire/1739/Lettre 1154

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Correspondance de Voltaire/1739
Correspondance : année 1739GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 270-271).

1154. — MADAME LA MARQUISE DU CHÂTELET
À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
7 mai 1739.

Mon cher ange, je vais monter en carrosse dans une demi-heure ; mais je veux avant vous demander votre bénédiction. La santé de votre ami est dans un état si déplorable que je n’ai plus d’espérance, pour le rétablir, que dans le fracas du voyage et le changement d’air. Il bien triste d’en être réduit là par un Desfontaines. Cependant, si l’affaire finit par vos bontés, comme nous l’espérons, cela lui donnera peut-être un peu plus de tranquillité, pourvu qu’il n’aille pas savoir l’infamie de ses libraires de Hollande. Écrivez-lui une lettre de consolation à Bruxelles, et dites-lui que l’ambassadeur de Hollande s’intéresse vivement pour lui. Nous ne saurons que là si l’affaire de Desfontaines est finie. Saint-Hyacinthe a enfin écrit une lettre à M. de Saint-Mard[1] sur cette horrible calomnie insérée dans la Voltairomanie, dont je suis assez contente. Je ne sais quand elle sera publique ; je crains que les Épîtres et ce commencement de Louis XIV, qui courent, et que mille gens ont, que cette nouvelle édition de ses œuvres qui paraît en Hollande, que tout cela ne fasse une bombe ; je voudrais qu’elle crevât pendant que nous sommes hors de sa portée. Il envoie des Miscelianées à Prault. Qu’il vous rende compte de tout, et retirez-lui, je vous prie, l’Ode sur la Superstition, dont je tremble ; prêchez la sagesse et la tranquillité : car ce n’est pas le tout d’aller, il faut revenir. Vous nous direz les choses, et j’espère bien vous embrasser à Paris avant de revenir ici.

Le chevalier de Mouhy, avec qui j’ai un petit commerce clandestin, me fait de telles peurs en me représentant sans cesse l’impatience du libraire, qui a chez lui deux différentes éditions du Mémoire de M. de Voltaire que je vous envoie un billet de 300 livres sur mon notaire, à vue. Je vous prie de l’employer à retirer tout ce qui concerne cette malheureuse affaire. Le chevalier vous remettra le tout, et vous payerez le libraire : car je ne me fie à ce chevalier que de bonne sorte ; et je ne puis confier cela qu’à vous. Votre ami n’en sait rien, et je ne le lui dirai point ; vous en sentez la nécessité. Envoyez chercher le chevalier ; faites-lui faire choses et autres ; mais retirez tout, et ne nous retirez jamais votre cœur charmant, qui fait la consolation de ma vie. Écrivez à l’Impératrice, à Bruxelles.

  1. Ce n’était pas, comme le dit par erreur Mme du Châtelet, à Rémond de Saint-Mard ( 1682-1757 ), imitateur de Fontenelle dans ses Nouveaux Dialogues des dieux, mais à Lévesque de Burigny que la lettre (no 1150) de Saint-Hyacinthe était adressée.