Correspondance de Voltaire/1739/Lettre 1184

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Correspondance de Voltaire/1739
Correspondance : année 1739GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 306-307).

1184. — À MADEMOISELLE QUINAULT.
Juillet 27, à Bruxelles.

On m’a apporté de Paris, mademoiselle, l’arrêt prononcé tout au long dans votre cour : je l’ai trouvé d’un juge non moins éclairé que sévère ; et quoique je commence à être d’un âge où l’amour-propre devient un peu rétif, j’ai lu l’arrêt avec docilité. Suspendez pour un moment, je vous prie, l’attention que vous donnez peut-être à présent à trois ou quatre pièces nouvelles, et écoutez-moi.

La première chose que j’ai faite, c’est de relire la pièce que beaucoup d’autres occupations avaient presque effacée de ma mémoire. J’ai éprouvé précisément le même sentiment sur lequel est fondée la critique ; j’ai été attendri par les trois premiers actes, embarrassé à la fin du troisième, et révolté des deux autres. Mais je suis très-loin de croire qu’il soit impossible de tirer parti de ce sujet. Je pense, au contraire, qu’il est très-aisé de rendre les derniers actes aussi intéressants que les premiers, et vais, au moins, le tenter ; et si je réussis, ce sera à vous et à votre ami que j’en aurai l’obligation. Je m’étais tellement refroidi sur cet ouvrage, fait avec précipitation, que j’avais besoin des coups d’aiguillon que vous venez de me donner. Je vous avoue que la multitude des occupations que je me suis faite est très-capable de m’égarer. Il faut donner son âme tout entière à une tragédie ; il faut le plus profond recueillement, l’enthousiasme le plus vif, et la patience la plus docile. Encouragez-moi donc pour suppléer à ce qui me manque ; vous savez que je ne veux que le bien de la chose. Je m’intéresse à Zulime, non parce qu’elle est de moi, mais parce qu’elle est tragédie. La physique et l’histoire peuvent me rendre un mauvais poète ; mais j’aimerai toujours les vers. Souvenez-vous donc de Zulime quand vous n’aurez rien de prêt.

J’ai peut-être encore dans mon portefeuille de quoi exercer la supériorité de votre critique ; en un mot, je suis à vous en cothurne et en brodequin. Que dites-vous du goût de Compiègne ? On a joué l’Héritier ridicule devant le roi : c’est M. le duc de Richelieu qui l’avait demandé.

Je lis actuellement le Siège de Calais ; j’y trouve un style pur et naturel que je cherchais depuis longtemps.

On vient de faire en Hollande une magnifique édition de mes sottises ; j’aurai l’honneur de vous la présenter. Toutes mes pièces sont corrigées ; vous trouverez dans Œdipe :

Entre un pontife et vous je ne balance pas ;
Un prêtre, quel qu’il soit, quelque dieu qui l’inspire.
Doit prier pour son prince, et jamais le maudire, etc.

Je vous supplierai bien un jour de faire jouer mes pièces selon la nouvelle leçon.

Voulez-vous bien assurer M. de Pont-de-Veyle de la tendre et respectueuse estime que j’aurai pour lui toute ma vie ? C’est avec les mêmes sentiments, mademoiselle, que je vous suis attaché. V.

Mme  du Châtelet vous embrasse et vous regarde comme la personne de France qui a le plus de goût.