Correspondance de Voltaire/1740/Lettre 1278

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Correspondance de Voltaire/1740
Correspondance : année 1740GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 439-440).

1278. — À M. BERNARD[1].
Bruxelles, le 27 mai.

Le secrétaire de l’Amour est donc le secrétaire des dragons. Votre destinée, mon cher ami, est plus agréable que celle d’Ovide ; aussi votre Art d’aimer me paraît au-dessus du sien. Je fais mon compliment à M. de Coigny[2] de ce qu’il joint à ses mérites celui de récompenser et d’aimer le vôtre. Vous me dites que sa fortune a des ailes ; voilà donc tous les dieux ailés qui se mettent à vous favoriser.

Vous êtes formés tous les deux
Pour plaire aux héros comme aux belles ;
Mais si la fortune a des ailes,
Je vois que la vôtre a des yeux.

On ne l’appellera plus aveugle, puisqu’elle prend tant de soin de vous. Vous serez toujours des trois Bernards[3] celui pour qui j’aurai le plus d’attachement, quoique vous ne soyez encore ni un Crésus ni un saint. Je vous remercie pour les acteurs de Paris, à qui vous souhaitez de la santé. Pour moi, je leur souhaite une meilleure pièce que Zulime ; c’est de la pluie d’été. J’avais quelque chose de plus passable[4] dans mon portefeuille ; mais on dit qu’il faut attendre l’hiver. Vous voyez que Newton ne me fait pas renoncer aux Muses ; que les dragons ne vous y fassent pas renoncer. Vous avez commencé, mon charmant Bernard, un ouvrage unique en notre langue, et qui sera aussi aimable que vous. Continuez, et souvenez-vous de moi au milieu de vos lauriers et de vos myrtes.

Je vous embrasse de tout mon cœur.

  1. Pierre-Joseph Bernard, ou Gentil-Bernard.
  2. Jean-Antoine-François de Franquetot, comte et ensuite marquis de Coigny, mort le 4 mars 1748.
  3. Voyez, tome X, page 515, dans les Poésies mêlées, les pièces qui commencent par ces vers :
    En ce pays trois Bernards sont connus ;
    et
    De ces trois Bernards que l’on vante.
  4. Le Fanatisme, ou Mahomet le prophète. Voyez tome IV.