Correspondance de Voltaire/1740/Lettre 1332

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Correspondance de Voltaire/1740
Correspondance : année 1740GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 497-498).

1332. — À M. DE LA NOUE,
directeur de la comédie. à douai.
À Bruxelles, ce 20 août.

Il y a longtemps, mon cher monsieur, qu’une parfaite estime m’a rendu votre ami. Cette amitié est bien fortifiée par votre lettre. Vous pensez aussi bien en prose qu’en vers, et je ferai certainement usage des réflexions que vous avez bien voulu me communiquer[1]. J’espère toujours que quand le plus aimable roi de l’univers sera un peu fixé dans sa capitale, il mettra la tragédie et la comédie françaises au nombre des beaux-arts qu’il fera fleurir. Il n’en protège aucun qu’il ne connaisse ; il est juge éclairé du mérite en tout genre. Je crois que je ne pourrais jamais mieux le servir qu’en lui procurant un homme d’esprit et de talents, aussi estimable par son caractère que par ses ouvrages, et seul capable peut-être de rendre à son art l’honneur et la considération que cet art mérite. Berlin va devenir Athènes ; je crois que le roi pensera comme les Périclès et les autres Athéniens, qui honoraient le théâtre et ceux qui s’y adonnaient, et qui n’étaient point assez sots pour ne pas attacher une juste estime à l’art de bien parler en public.

Si je suis assez heureux pour procurer à Sa Majesté un homme tel que vous, je suis très-sûr qu’il ne vous considérera pas seulement comme le chef d’une société destinée au plaisir, mais comme un auteur, et comme un homme digne de ses attentions.

Si les choses prennent un autre tour, si l’amour de votre patrie vous empêche d’aller à la cour d’un roi que tous les gens de lettres veulent servir, ou si quelqu’un lui donne une autre idée, ou s’il n’a point de spectacle, je féliciterai la France de vous garder. Je me flatte que j’aurai bientôt le plaisir de vous entendre à Lille. Mandez-moi, je vous prie, si vous pourriez y être vers le 1er septembre. J’ai mes raisons, et ces raisons sont principalement l’estime et l’amitié avec lesquelles je compte être toute ma vie, monsieur, votre, etc.

  1. Sans doute sur la tragédie du Fanatisme, dans laquelle La Noue joua le principal rôle, à Lille, huit mois plus tard. (Cl.)