Correspondance de Voltaire/1740/Lettre 1359

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Correspondance de Voltaire/1740
Correspondance : année 1740GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 525).

1359. — DE FRÉDÉRC II. ROI DE PRUSSE.
Remusberg, 12 octobre 1740[1].

Enfin je puis me flatler de vous voir ici. Je ne ferai point comme les habitants de la Thrace, qui, lorsqu’ils donnaient des repas aux dieux, avaient soin de manger la moelle auparavant. Je recevrai Apollon comme il mérite d’être reçu. C’est Apollon non-seulement dieu de la médecine, mais de la philosophie, de l’histoire, enfin de tous les arts.

Venez, que votre vue écarte
Mes maux, l’ignorance et l’erreur ;
Vous le pouvez en tout honneur,
Car Émilie est sans frayeur,
Et j’ai toujours la fièvre quarte.

Ici, loin du faste des rois,
Loin du tumulte de la ville,
À l’abri des paisibles lois.
Les arts trouvent un doux asile.

S’aimer, se plaire, et vivre heureux,
Est tout l’objet de notre étude ;
Et, sans importuner les dieux
Par des souhaits ambitieux.
Nous nous faisons une habitude
D’être satisfaits et joyeux.

Grâces vous soient rendues du bel écrit[2] que vous venez de faire en ma faveur ! L’amitié n’a point de bornes chez vous ; aussi ma reconnaissance n’en a-t-elle point non plus.

Vos politiques hollandais,
Et votre ambassadeur français,
En fainéants experts critiquent et réforment,
D’un fauteuil à duvet sur nous lancent leurs traits,
Et sur le monde entier tranquillement s’endorment.
Je jure qu’ils sont trop heureux
D’être immobiles dans leur sphère ;
Ne faisant jamais rien comme eux,
On ne saurait jamais mal faire.

  1. Nous donnons cette lettre d’après l’édition des Œuvres posthumes de Frédéric II, Amsterdam (Liège), 1789, tome XIV, page 35. Le premier alinéa fait double emploi avec un passage de la lettre 1355, du 7 octobre. Le reste, dans les autres éditions, faisait aussi partie de la lettre du 7 octobre.
  2. Voyez la fin de la lettre suivante.