Correspondance de Voltaire/1743/Lettre 1599

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Correspondance de Voltaire/1743
Correspondance : année 1743GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 230-231).

1599. — À M. LE DUC DE RICHELIEU.
À la Haye, ce 8 août.

J’ai reçu, monsieur le duc, la lettre dont vous m’avez honoré, par la voie de Francfort ; mais il n’y a plus moyen de vous écrire par l’Allemagne, à moins que je ne veuille apprendre aux housards autrichiens combien je vous aime. Daignez donc me donner vos ordres dans les paquets que vous adresserez à Mme  du Châtelet.

Les troupes hollandaises ne pourront certainement joindre les alliés que le 15 ou le 16 septembre. Il paraît cependant que le gouvernement anglais commence à faire réflexion que tout le fardeau de la guerre retombera sur lui, et qu’il se ruine dans l’idée chimérique de faire avoir à la reine de Hongrie un dédommagement aux dépens de la France. La moitié des Provinces-Unies a toujours des sentiments de paix, et je ne voudrais pas parier que les troupes de la république n’eussent bientôt des ordres de ne point agir, pour peu que la France témoigne de vigueur et de bonne conduite. Il y a grande apparence qu’on tirera de grands avantages de nos fautes passées. Dunkerque peut être rétabli pour n’être plus jamais détruit, et la France, en deux ou trois mois de temps, peut devenir plus respectable que jamais. Il paraît que nous ne sommes pas extrêmement bien voulus dans les pays étrangers ; quand je dis nous, je dis notre puissance, car on aime les particuliers, en haïssant la France. On nous traite comme nous traitons les jésuites on dit du mal du corps, et on est fort aise de vivre avec les membres ; on nous prie à souper, et on chante pouille à notre ministère ; on joue publiquement, par permission du magistrat, une comédie intitulée la Présomption punie[1], dans laquelle la reine de Hongrie est représentée sous le nom de Mimi ; le cardinal de Fleury, sous celui d’un vieux Bailli impuissant qui, ne pouvant coucher avec Mimi, veut lui ôter toute la succession de son père ; le prince Charles, sous le nom de Charlot, chasse le bailli et ses consorts : et voilà la Présomption punie. On va voir de dix lieues cette mauvaise bouffonnerie, qui se joue à Amsterdam. J’aime encore mieux cette farce que la tragédie de Dettingen cela ne casse ni bras ni têtes. Conservez la vôtre, monsieur le duc, et permettez que je fasse aussi des souhaits pour un individu fort aimable qui a grande obligation au vôtre. Souffrez que je vous prie de daigner faire souvenir de moi M. le duc de Duras[2], in quo bene complacuisti[3]. Si vous pouvez m’apprendre de bonnes nouvelles, si vous avez la bonté de me faire un tableau bien brillant de votre position, comptez que vous me ferez bien du plaisir. Vous savez avec quel tendre respect je vous suis attaché pour toute ma vie.

  1. Cette pièce est imprimée : il en existe plusieurs éditions.
  2. Emmanuel-Félicité, duc de Duras. Voltaire le cite dans le vers 232 du Poëme de Fontenoy. Maréchal de France, et l’un des Quarante en 1775 ; mort le 6 septembre 1789.
  3. Matthieu, xii, 18.