Correspondance de Voltaire/1745/Lettre 1719

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Correspondance de Voltaire/1745
Correspondance : année 1745GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 357-358).

1719. — À M. L’ABBÉ DE VALORI.
Paris, le 3 mai.

Les faveurs des rois et des papes, monsieur, ne valent pas celles de l’amitié. Vous savez si la vôtre m’est chère. J’ai reçu, presque le même jour, votre lettre et celle de monsieur votre frère. Je suis bien glorieux de n’être pas oublié de deux hommes à qui j’ai voué un si grand attachement mais vous m’avouerez, monsieur, que vous devez m’aimer un peu davantage depuis que le saint-père me donne des bénédictions. Sa Sainteté a pensé comme vous sur Mahomet c’est qu’elle n’a point été séduite par des convulsionnaires. On éprouve des injustices dans sa patrie ; mais les étrangers jugent sans passion, et un pape est au-dessus des passions. Je suis fort joliment avec Sa Sainteté. C’est à présent aux dévots à me demander ma protection pour ce monde-ci et pour l’autre.

Vous allez voir, monsieur, grande compagnie à Lille. Le roi va délivrer les Hollandais du soin pénible de garder les places de la barrière. On prétend aussi qu’il délivrera l’ancien évêque de Mirepoix de la tentation où il est tous les jours de mal choisir entre les serviteurs de Dieu, et qu’il ira achever l’œuvre de sa sanctification dans son abbaye de Corbie[1]. Il y fera faire pénitence aux moines. C’est un homme fait, à ce qu’on dit, pour le ciel, car il déplaît souverainement au monde.

J’ai répondu un peu plus tard, monsieur, à votre aimable lettre, mais elle m’a été rendue fort tard. Elle a été à Chalons, où j’avais suivi Mme  du Châtelet, qui a gardé monsieur son fils, malade de la petite vérole. Les préjugés de ce monde, qui ne font jamais que du mal, m’empêchent de voir votre ami M. d’Argenson. Vous aurez probablement, à Lille, le plaisir que je regrette. Puisse-t-il en revenir bien vite avec le rameau d’olivier ! Il n’y a jamais eu, de tous les côtés, moins de raison de faire la guerre. Tout le monde a besoin de la paix, et cependant on se bat. Je voudrais bien que l’historiographe pût dire : Les princes furent sages en 1745.

Vous savez que le roi, en m’accordant cette place, m’a daigné promettre la première vacante de gentilhomme ordinaire. Je suis comblé de ses bontés. Adieu, monsieur ; Mme  du Châtelet vous fait mille compliments recevez, avec toute votre famille, mes plus tendres respects.

Voltaire.

  1. Boyer fut abbé commendataire de Corbie depuis 1743 jusqu’à 1755, année de sa mort.