Correspondance de Voltaire/1746/Lettre 1827

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Correspondance de Voltaire/1746
Correspondance : année 1746GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 450-451).
1827. — À M. ***[1],
à l’occasion de la lettre de m. d’argenson à m. van hoey, ambassadeur des provinces-unies[2].
Juin.

Le roi mon maître, monsieur, qui ne prend de parti dans les querelles de l’Europe que celui du bien public et de la paix nécessaire qu’il désire, a lu avec beaucoup d’attention la lettre que le roi de France a fait écrire par son ministre à l’ambassadeur des États-Généraux au sujet du prince Charles-Edouard, et de ses partisans qui ont succombé par le sort de la guerre, après des prodiges de valeur. Le roi mon maître en eût écrit autant, s’il en eût été requis, quoiqu’il ne soit pas lié par le sang à la maison de Stuart, et le mérite du prince Édouard peut suffire pour engager tout monarque, ami du courage et de la clémence, à faire une telle démarche.

Nous avons été étrangement surpris dans notre cour que plusieurs personnes à Paris aient trouvé dans cette lettre, écrite au nom du roi de France, trop peu de hauteur, et que le conseil de Londres l’ait jugée trop audacieuse.

Notre cour, qui ne se détermine ni par les cabales qui peuvent partager Paris, ni par l’esprit qui anime la cour de Saint-James, a pensé unanimement que cette déclaration des sentiments du roi de France est digne à la fois d’un roi très-chrétien qui fait la guerre en voulant la paix, et qui a la vertu de représenter à son ennemi même ce que les rois doivent à l’humanité. Non-seulement nous avons regardé cette démarche comme une action de générosité, mais comme une ouverture d’accommodement. Nous sommes persuadés ici de deux choses que le ministère de France veut sincèrement la paix, et qu’il fera toujours la guerre avec vigueur.

Il serait bien temps que cette guerre, dont nous ne laissons pas de ressentir les effets par l’interruption de notre commerce, pût finir ; nous l’avons espéré quand nous avons vu que la plus grande partie des Provinces-Unies la désirait de bonne foi, et que le roi de France avait poussé ce grand ouvrage jusqu’à signer avec le roi de Sardaigne un traité qui devait contenter plus d’une partie intéressée, et produire sûrement le bien général. Dieu n’a pas permis que des intentions si nobles et une politique si admirable aient eu leur effet ; mais il est bien difficile qu’à la fin elles ne réussissent pas car j’ose dire qu’un roi puissant et bien servi, qui désire réellement la paix, ne peut longtemps la désirer en vain. Il serait bien étrange que le roi très-chrétien la proposât dans Anvers, à la tête de plus de cent mille hommes, et ne l’obtint pas. Mais alors qui devrions-nous bénir, qui devrions-nous condamner ? À qui imputer le malheur de l’Europe, et sur qui en tomberont les calamités ? etc.

Au reste, monsieur, soyez persuadé que ce sont les ennemis de cette paix qui font courir tous les petits bruits dont vous me parlez, qui accréditent des rumeurs ridicules, et qui chargent un ministère si bien intentionné de leurs propres discours et de leurs expressions basses et indécentes. Nous recevons ici toutes ces petites calomnies avec le mépris qu’elles méritent.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François. — Cette lettre diplomatique a été écrite après la bataille de Culloden, qui ruina les espérances de Charles-Édouard. Une note placée au commencement de la page porte « Lettre de M***, chambellan du roi de P…, à M *** » On sait que voltaire servit plus d’une fois de sa plume et par des démarches secrètes la politique généreuse du ministère de cette époque. (A. F.)
  2. Voyez la lettre à d’Argenson, du 15 avril.