Correspondance de Voltaire/1746/Lettre 1839

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Correspondance de Voltaire/1746
Correspondance : année 1746GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 461-462).

1839. ‑ LOUIS TRAVENOL À L’ABBÉ D’OLIVET[1].
Du 6 juillet 1746.

Monsieur, la part que vous prenez avec tant de générosité à l’affaire que j’ai à la police pour la terminer, et étouffer un éclat scandaleux, m’engage à vous dire que je persiste dans les déclarations que mon père a eu l’honneur de vous présenter et que j’ai écrites au ministre. M. de Voltaire objecte, à l’occasion des pièces de prose et de vers, dont la dernière est imprimée et publiée il y a dix ans, et la première imprimée en 1743, lorsqu’il fut question de l’admettre à l’Académie, qu’il y a dans la nouvelle édition des changements j’en conviens ; mais cela ne prouve pas que j’aie rien avancé de faux dans mon mémoire. Je ne dis point tenir cette seconde édition de l’abbé Desfontaines, je déclare seulement que c’est lui qui m’a donné ces deux pièces avec beaucoup d’autres imprimées contre M. de Voltaire, et j’ai cru devoir taire le reste. Comme il me parait, monsieur, que l’on ne veut rien ignorer à ce sujet, voici en abrégé par quel hasard la seconde édition a eu lieu et m’est tombée en partie entre les mains :

Deux ou trois colporteurs qui, sans décliner leur nom ni leur demeure, venaient chez moi de temps en temps m’apporter quelques brochures nouvelles, m’envoyèrent un homme pour acheter des ouvrages de musique de ma composition ; il vit sur mon bureau un exemplaire de l’ancienne édition des deux pièces dont il s’agit ; il me les demanda pour les faire réimprimer, me promit un certain nombre d’exemplaires. Comme je ne risquais rien, j’acquiesçai à ses propositions sans le connaître. Quelques jours après, il m’envoya les exemplaires promis, dont je me défis en faveur d’un colporteur qui me fut adressé depuis.

Je me flatte, monsieur, que la sincérité de mon exposé et tout ce que ma famille et moi souffre (sic) depuis longtemps touchera (sic) M. de Voltaire et l’engagera à tenir la parole qu’il a donnée à mon père. J’ai l’honneur d’être avec un profond respect, etc.

Travenol.

  1. Voltaire contre Travenol, par Henri Beaune, 1869. Lettre exigée de Travenol par Voltaire, comme nous l’avons dit dans la note de la lettre 1807. Armé de cette pièce de conviction, Voltaire assigna Travenol devant le tribunal du Châtelet « afin de s’ouir condamner à lui faire réparation d’honneur, à lui payer six mille livres de dommages-intérêts, et à la destruction des ouvrages saisis ».

    C’était à peu près ce que l’abbé Desfontaines et Jore avaient fait contre lui en 1738. Dans ces querelles littéraires du xviiie siècle, on ne se piquait guère de loyauté ni de courtoisie, et d’ailleurs Voltaire est l’homme des guerres à outrance. C’est même le trait le plus saillant de son caractère, qu’il serait bien inutile de contester.

    Antoine Travenol père introduisit, par requête du 19 novembre, une demande reconventionnelle de six mille livres de dommages-intérêts pour l’emprisonnement qu’il avait indûment subi. Rigoley de Juvigny écrivit pour Travenol fils un mémoire très-agressif contre Voltaire, et Mannory se chargea de plaider sa cause, comme on le verra ci-après.