Correspondance de Voltaire/1746/Lettre 1855

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Correspondance de Voltaire/1746
Correspondance : année 1746GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 478-479).
1855. — À M. LE DUC DE RICHELIEU,
ambassadeur[1] à dresde.
À Paris, le 21 décembre.

Très-magnifique ambassadeur,
Vous avez quelque sympathie
Pour ces catins dont la manie
Est d’avoir du goût pour l’honneur,
Et qui, sur la fin du bel âge,
Savent terminer quelquefois
Le cours de leurs galants exploits
Par un honnête mariage.
De votre petite maison,
À tant de belles destinée,
Vous allez chez le roi saxon
Rendre hommage au dieu d’hyménée ;
Vous, cet aimable Richelieu,
Qui, né pour un autre mystère,
Avez toujours battu ce dieu
Avec les armes de son frère.
Revenez cher à tous les deux ;
Ramenez la paix avec eux,
Ainsi que vous eûtes la gloire,
Aux campagnes de Fontenoi,
De ramener aux pieds du roi
Les étendards de la victoire.

Et cependant, monsieur le duc, vous voulez des scieurs de long sur le devant de votre tableau ! Fi donc Vous aurez des nonnes et des moines, des bergers et des bergères, dont les attitudes seront aussi brillantes en mécanique. Une femme en bas et un homme en haut peuvent opérer de très-beaux effets d’optique qui vaudront bien des scieurs de long. Il faut que tout soit saint dans un tableau d’autel.

Que dites-vous d’une infâme Calotte qu’on a faite contre M. et Mme  de La Popelinière, pour prix des fêtes qu’ils ont données ? Ne faudrait-il pas pendre les coquins qui infectent le public de ces poisons ? Mais le poëte Roi aura quelque pension, s’il ne meurt pas de la lèpre, dont son âme est plus attaquée que son corps.

Vous savez que l’aventure de Gênes s’est terminée à l’amiable[2], par la pendaison de quelques citoyens et de quelques soldats ; que cependant le général Brown a fait faire à M. de Mirepoix[3] d’énormes reculades, et qu’il marche à M. de Belle-Isle, lequel est obligé de se retrancher sous Toulon.

In tanto le bacio umilmente le mani, e riverisco nella sua persona l’onor di nostra età.

  1. Richelieu fut chargé d’aller demander, à Dresde, pour le dauphin, la main de Marie-Josèphe de Saxe.
  2. Pas tant à l’amiable, car le peuple de Gênes venait d’en chasser les Autrichiens. Voyez, tome XV, le chapitre xxi du Précis du Siècle de Louis XV.
  3. Mort maréchal de France, le 25 septembre 1757.