Correspondance de Voltaire/1747/Lettre 1867

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Correspondance de Voltaire/1747
Correspondance : année 1747GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 493-494).

1867. — À M. LE COMTE D’ARGENSON,
ministre de la guerre.
À Paris, le 4 de la pleine lune[1].

L’ange Jesrad a porté jusqu’à Memnon la nouvelle de vos brillants succès[2], et Babylone avoue qu’il n’y eut jamais d’itimadoulet dont le ministère ait été plus couvert de gloire. Vous êtes digne de conduire le cheval sacré du roi des rois, et la chienne favorite de la reine. Je brûlais du désir de baiser la crotte de votre sublime tente, et de boire du vin de Chiras à vos divins banquets. Oromasde n’a pas permis que j’aie joui de cette consolation, et je suis demeuré enseveli dans l’ombre, loin des rayons brillants de votre prospérité. Je lève les mains vers le puissant Oromasde ; je le prie de faire longtemps marcher devant vous l’ange exterminateur, et de vous ramener par des chemins tout couverts de palmes.

Cependant, très-magnifique seigneur, permettriez-vous qu’on vous adressât, à votre sublime tente, un gros paquet que Memnon[3] vous enverrait du séjour humide des Bataves ? Je sais que vous pourriez bien l’aller chercher vous-même en personne mais, comme ce paquet pourrait bien arriver aux pieds de Votre Grandeur avant que vous fussiez à Amsterdam, je vous demanderai la permission de vous le faire adresser par M. Chiquet, dans la ville où vous aurez porté vos armes triomphantes et vous pourriez ordonner que ce paquet fût porté jusqu’à la ville impériale de Paris, parmi les immenses bagages de Votre Grandeur.

Je lui demande très-humblement pardon d’interrompre ses moments, consacrés à la victoire, par des importunités si indignes d’elle ; mais Memnon, n’ayant sur la terre de confident que vous, n’aura que vous pour protecteur, et il attend vos ordres très-gracieux. V.

  1. Cette lettre, écrite en juillet 1747, semblerait être du 24 du même mois, d’après la date que Voltaire lui donne ; mais je la crois du 8. Voyez les Mémoires du marquis d’Argenson, page 465. (Cl.)
  2. La victoire remportée par les Français, le 2 juillet 1747, dans les champs de Laufelt.
  3. L’ouvrage publié, en 1747, par Voltaire, sous le titre de Memnon, a été, l’année suivante, intitulé Zadig. Voyez, tome XXI, l’avertissement de Beuchot en tête des Romans.