Correspondance de Voltaire/1748/Lettre 1894

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Correspondance de Voltaire/1748
Correspondance : année 1748GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 516-517).

1894. — À M. D’ARNAUD.
Juin.

Je vous fais mon compliment, mon cher ami, sur votre emploi[1], et sur l’Épitre à Manon[2]. Je souhaite que l’un fasse votre fortune, comme je suis sûr que l’autre doit vous faire de la réputation. Il y a des vers charmants, et en grand nombre ; mais vous êtes trop aimable pour n’être pas toujours un franc paresseux.

Je vais partir avec un joli viatique ; vos vers égayeront mon imagination ; je suis vieux et malade, je n’ai plus d’autre plaisir que de m’intéresser à ceux de mes amis. Les Manon sont bien heureuses d’avoir des amants et des poëtes comme vous. Je ne vous envie point Manon, mais je vous envie les princes de Wurtemberg[3]. Je pars sans avoir pu leur faire ma cour ; peut-être, à leur retour, ils passeront chez le roi de Pologne, en Lorraine. Il me semble que c’est leur chemin en ce cas, je réparerais la sottise que j’ai eue d’être malade, au lieu de leur rendre mes respects. Je vous prie de me mettre à leurs pieds.

Si M. de Montolieu[4] est celui que j’ai vu à Berlin et à Baireuth, je pars désespéré de ne l’avoir point revu.

Adieu, mon cher d’Arnaud entre les princes et les Manon, n’oubliez pas Voltaire. Adieu.

  1. Baculard d’Amaud, auquel est adressée une lettre du 20 novembre 1742, venait de remplacer Thieriot comme agent littéraire de Frédéric.
  2. La pièce est intitulée Épitre au cul de Manon. (B.)
  3. Charles-Eugène et Louis-Eugène de Wurtemberg. — Charles-Eugène, alors duc régnant de Wurtemberg, venait de prendre d’Arnaud pour agent littéraire, en lui donnant mille francs par an, comme le roi de Prusse.
  4. M. de Montolieu, appartenant à une des principales familles de Lausanne, est cité dans les lettres 1923 et 1929. Voyez aussi la lettre du 12 auguste 1755, à Polier de Bottens.