Correspondance de Voltaire/1751/Lettre 2239

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Correspondance de Voltaire/1751
Correspondance : année 1751, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 277).

2239. — À MADAME LA MARGRAVE DE BAIREUTH[1].
À Potsdam, 28 mai (1751).

Madame, Votre Altesse royale attendait des Adhémars, et elle a des Cothenius[2]. Au lieu des plaisirs qui devraient être en foule autour d’elle, faudra-t-il qu’elle n’ait que des juleps et des pilules ? Faudra-t-il toujours craindre pour une santé si précieuse ? Si le vif intérêt que tout le monde prend ici à cette santé pouvait être de quelque secours à Votre Altesse royale, vous seriez bientôt guérie. Le couvent de Potsdam redouble pour vous, madame, ses dévotes prières ; et moi, frère indigne de ce monastère, je ne suis pas celui dont les vœux sont les moins fervents. Votre Altesse royale sait quels sentiments je lui ai voués ; elle connaît l’empire qu’elle a sur les cœurs. Je suis également attaché à la sœur et au frère. Je voudrais chanter mes matines à Potsdam et mes vêpres à Baireuth.

Si j’étais sûr, madame, que cette lettre vous parvînt dans un temps où votre santé serait meilleure, je vous parlerais du marquis d’Adhémar, qui n’a pas encore pu se résoudre à quitter Paris ; je parlerais d’un gentilhomme lorrain nommé Liébaud[3] qui est officier, qui est homme de lettres, sage, instruit, et dont on répond. Mais je ne peux parler que de la santé de Votre Altesse royale, de nos inquiétudes et de notre douleur. Que ne puis-je accompagner M. Cothenius ! Que ne puis-je venir me mettre à vos pieds et à ceux de monseigneur ! Le roi va à Clèves, je reste à griffonner dans ma cellule. Les maladies qui m’accablent me rendent sédentaire. Mais, madame, j’oublie mes maux pour ne songer qu’aux vôtres. Je suis indigné contre la nature de ce que je ne suis pas le seul qui souffre. Pourquoi faut-il qu’une âme aussi ferme que la vôtre soit logée dans un corps si délicat ? Nous avons dix mille grands garçons qui ne pensent point et qui tirent actuellement dix mille coups de fusil aux portes de Potsdam : ils se portent à merveille, et Mme  la margrave de Baireuth souffre ! Et la Providence ? où est-elle donc ? Je ne serai pas son serviteur si vous n’avez de la santé, et je veux chanter un Te Deum au retour de Cothenius.


Frère Voltaire.
  1. Revue française, 1er février 1866, tome XIII, page 214.
  2. Cothenius était le médecin particulier de Frédéric.
  3. Voyez la lettre 2232.