Correspondance de Voltaire/1751/Lettre 2270

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Correspondance de Voltaire/1751
Correspondance : année 1751, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 309-310).

2270. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.

Je suis dans une grande affliction. Votre Majesté sait ce que c’est que cinquante vers, quand il faut qu’ils soient bons, et que ce ne sont pas là de petites affaires. J’avais donc fait ces cinquante vers pour Aurélie, dans Catilina, avec bien de la peine ; et j’envoyais à Paris un mémoire raisonné pour empêcher Aurélie de se mêler d’être une Mme Caton, et de faire la patriote et l’héroïne. Je voulais consulter Votre Majesté sur tout cela ; et, en vérité, sire, vous me devez vos avis, après la liberté que je prends si souvent de vous dire le mien. Je monte dans vos antichambres pour tâcher de trouver quelqu’un par qui je puisse faire demander la permission de vous parler. Je ne trouve personne ; je m’en retourne, et mes vers partent sans votre approbation. Mais je déclare à Votre Majesté que je me suis vanté que je vous ai dans mon parti, que vous trouvez très-bon qu’Aurélie ne s’avise point de vouloir être le soutien de Rome. J’ai encore ajouté, pour arrêter l’impatience de mes amis, que vous me faites l’honneur de penser comme moi, qu’il ne faut pas sitôt donner cet ouvrage au public, et que, s’ils donnent bataille malgré l’opinion d’un général tel que vous, ils seront battus. J’avais bien encore d’autres vers à vous montrer. J’avais à vous demander votre protection pour l’édition de ce Siècle de Louis XIV, que je fais imprimer à Berlin ; mais je voulais encore demander à Votre Majesté une autre grâce. Voici quelle est ma requête, sire :

Je suis malade, et né malade. Je suis obligé de travailler presque autant que Votre Majesté. Je passe toute la journée seul. Si vous vouliez permettre que j’habitasse l’appartement voisin du mien, où M. de Bredow[1] a couché l’hiver dernier, j’y travaillerais plus commodément. J’y aurais un peu plus de soleil, ce qui est un grand point pour moi. L’appartement est tourné de façon que je pourrais travailler avec mon secrétaire. Les deux appartements sont d’ailleurs égaux ; et, si Votre Majesté veut souffrir que je loge dans l’autre, elle me fera le plus grand plaisir du monde. C’est une fantaisie de malade peut-être, mais en ce cas Votre Majesté en aura pitié : elle m’a promis de me rendre heureux[2].

  1. Membre de l’Académie de Berlin en 1752, mort en 1756.
  2. Une lettre du duc d’Uzès à Voltaire, du 27 août 1751, où le duc affirme la supériorité du temps présent sur le temps passé, est signalée dans les catalogues d’autographes.