Correspondance de Voltaire/1753/Lettre 2494

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Correspondance de Voltaire/1753
Correspondance : année 1753, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 549-550).

2494. — À M. LE CHEVALIER DE LA TOUCHE[1].
1er janvier.

J’ai l’honneur de vous confier, monsieur, la copie de la lettre que j’envoie au roi de Prusse et que j’ai minutée devant vous. Elle n’est pas d’un homme qui ait à se reprocher d’avoir jamais manqué personnellement à Sa Majesté. Elle ne peut me refuser la liberté de sortir de ses États. J’ose espérer même qu’après m’avoir arraché à ma patrie et à tout ce que j’avais de plus cher, après m’avoir demandé au roi par son ministre, après m’avoir donné des assurances si réitérées et si tendres de me rendre heureux, elle ne me laissera point partir sans quelques paroles de consolation. Elle doit cet adoucissement à mon état, et je l’attends de la générosité de son caractère ; et je me mets sous votre protection, monsieur, comme un Français, comme un domestique du roi, comme un officier de sa maison. Je n’ai jamais cessé de lui appartenir ; il me fait même une pension, outre le brevet de son gentilhomme ordinaire qu’il m’a conservé. Il ne m’a cédé à Sa Majesté prussienne qu’en me conservant tous mes droits dans ma patrie. Vous êtes ici le protecteur des Français ; je vous demande instamment, monsieur, de couronner vos bontés ; de parler à M. de Podewils d’une manière touchante, et de l’engager par la plus pressante sollicitation à représenter au roi son maître combien il est digne de sa grandeur et de sa bonté de laisser sortir à son grè un étranger malheureux et malade, qu’il a eu deux ans et demi auprès de sa personne, et qui conservera toujours pour ses anciennes bontés la plus respectueuse reconnaissance, et combien il est digne encore d’un monarque tel que lui d’adoucir par des paroles de bienveillance le tort à jamais irréparable qu’il m’a fait.

Personne n’est plus en état que vous, monsieur, de me rendre les meilleurs offices, et par le poste où vous êtes et par la confiance qu’on doit avoir en vous. Je vous supplie d’ajouter cette marque de bonté à toutes celles que vous m’avez données. Je ne peux vous ofTrir que les tristes témoignages d’une reconnaissance aussi tendre, aussi respectueuse qu’inutile : mais c’est assez pour une âme aussi belle que la vôtre. V.

J’ajoute que je vous supplie de demander le secret à M. de Podewils jusqu’à mon départ, comme j’ose le demander au roi de Prusse.

  1. Éditeur, Th. Foisset.