Correspondance de Voltaire/1753/Lettre 2501

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Correspondance de Voltaire/1753
Correspondance : année 1753, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 554-555).

2501. — À MADAME DENIS.
À Berlin, le 13 janvier.

J’ai renvoyé au Salomon du Nord, pour ses étrennes, les grelots et la marotte qu’il m’avait donnés, et que vous m’avez tant reprochés. Je lui ai écrit une lettre très-respectueuse, car je lui ai demandé mon congé. Savez-vous ce qu’il a fait ? il m’a envoyé son grand factotum de Fredersdorff, qui m’a rapporté mes brimborions. Il m’a écrit qu’il aimait mieux vivre avec moi qu’avec Maupertuis. Ce qui est bien certain, c’est que je ne veux vivre ni avec l’un ni avec l’autre.

Je sais qu’il est difficile de sortir d’ici ; mais il y a encore des hippogriffes pour s’échapper de chez Mme  Alcine. Je veux partir absolument : c’est tout ce que je peux vous dire, ma chère enfant. Il y a trois ans bientôt que je le dis, et que je devrais l’avoir fait. J’ai déclaré à Fredersdorff que ma santé ne me permettait pas plus longtemps un climat si dangereux.

Adieu ; faites du paquet ci-joint l’usage que votre amitié et votre prudence vous dicteront.

Le pauvre Dubordier doit être à présent chez moi, à Paris. Sa destinée est bien cruelle. Il y a des gens devant qui on n’ose pas se dire malheureux. Cet homme est demandé à Berlin ; il y arrive en poste. Il embarque sur un vaisseau sa femme, son fils unique, et sa fortune. Le vaisseau périt à la rade de Hambourg. Dubordier se trouve à Berlin sans ressource. On se sert de ses dessins ; on ne l’emploie point, et on le renvoie sans même lui donner l’aumône. Logez-le, nourrissez-le. Qu’il raccommode mon cabinet de physique. Vous verrez dans le paquet qu’il vous apporte des choses qui font frémir. Faites comme moi, armez-vous de constance.