Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 2855

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Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 324-325).

2855. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Prangins, pays de Vaud, 23 janvier.

Toute adresse est bonne, mon cher et respectable ami, et il n’y a que la poste qui soit diligente et sûre ; ainsi je puis compter sur ma consolation, soit que vous écriviez par M. Tronchin à Lyon, ou par M. Fleur à Besançon, ou par M. Chappuis[1] à Genève, ou en droiture au château de Prangins, au pays de Vaud.

Dieu a puni Royer ; il est mort. Je voudrais bien qu’on enterrât avec lui son opéra, avant de l’avoir exposé au théâtre sur son lit de parade. L’Orphelin vivra peu de temps ; je ferai ce que je pourrai pour allonger sa vie de quelques jours, puisque vous voulez bien lui servir de père. Lambert m’embarrasse actuellement beaucoup plus que les conquérants tartares, et il me paraît aussi tartare qu’eux.

Je vous demande mille pardons de vous importuner d’une affaire si désagréable ; mais votre amitié constante et généreuse ne s’est jamais bornée au commerce de littérature, aux conseils dont vous avez soutenu mes faibles talents. Vous avez daigné toujours entrer dans toutes mes peines avec une tendresse qui les a soulagées. Tous les temps et tous les événements de ma vie vous ont été soumis. Les plus petites choses vous deviennent importantes, quand il s’agit d’un homme que vous aimez ; voilà mon excuse.

Pardon, mon cher ange ; je n’ai que le temps de vous dire qu’on me fait courir, tout malade que je suis, pour voir des maisons[2] et des terres. Est-il vrai que Dupleix[3] s’est fait roi, et que Mandrin s’est fait héros à rouer ? On me mande que la Pucelle est imprimée[4], et qu’on la vend un louis à Paris. C’est apparemment. Mandrin qui l’a fait imprimer ; cela me fait mourir de douleur.

  1. Marc Chappuis, cité dans une lettre de Voltaire à Hume, du 24 octobre 1766. C’était sans doute un proche parent des demoiselles Chappuis, marchandes de modes à Genève, chez lesquelles Voltaire faisait adresser ses lettres, et auxquelles il en écrivit environ trente, qui jusqu’à présent (1829) sont restées inédites, (Cl.)
  2. Voltaire, le 8 ou le 9 février suivant, devint propriétaire de la maison, qu’il appela aussitôt les Délices. Voyez plus bas la lettre 2873.
  3. Voyez, tome XIX, l’art. iii des Fragments historiques sur l’Inde.
  4. La Pucelle ne parut imprimée qu’à la fin de 1755.