Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 3008

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Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 456-457).

3008. — À M. THIERIOT.
Aux Délices, le 10 septembre.

Non, assurément, mon ancien ami, je ne peux ni ne veux retoucher à une plaisanterie faite il y a trente ans, qui ne convient ni à mon âge, ni à ma façon présente de penser, ni à mes études. Je connais toutes les fautes de cet ouvrage ; il y en a d’aussi grandes dans l’Arioste ; je l’abandonne à son sort. Tout ce que je peux faire, c’est de désavouer et de flétrir les vers infâmes que la canaille de la littérature a insérés dans cet ouvrage. Ne vous ai-je pas fait part de quelques-unes de ces belles interpolations ?


Qui, des Valois rompant la destinée,
À la gard’Dieu laisse aller son armée,
Chasse le jour, le soir est en festin,
Toute la nuit fait encor pire train ;
Car saint Louis, là-haut, ce bon apôtre,
À ses Bourbons en pardonne bien d’autre !


Eh bien ! croiriez-vous que, dans le siècle où nous sommes, on m’impute de pareilles bêtises, qu’on appelle des vers ? On m’avertit que l’on imprime l’ouvrage en Hollande[1] avec toutes ces additions ; cela est digne de la presse hollandaise, et du goût de la gent réfugiée.

Je fais imprimer l’Orphelin de la Chine, avec une lettre[2] dans laquelle je traite les marauds qui débitent ces horreurs comme ils le méritent.

Plût à Dieu qu’on eût saisi la Pucelle, l’infâme prostituée de la Pucelle, à Paris, comme vous me l’écrivez, et comme je l’ai demandé ! Mais ce n’est point sur elle qu’est tombée l’équité du ministère ; c’est, à ma réquisition, sur une édition de la Guerre de 1741. Un homme de condition avait, à ce qu’on prétend[3] volé chez Mme Denis les minutes très-informes des matériaux de cette Histoire, et les avait vendues vingt-cinq louis d’or à un libraire nommé Prieur, par les mains du chevalier de La Morlière, dont ce Prieur a la quittance. Je ne crois point du tout que le jeune marquis qu’on accuse de s’être servi de ce chevalier soit capable d’une si infâme action. Je suis très-loin de l’en soupçonner, et je suis persuadé qu’il se lavera, devant le public, d’une accusation si odieuse. Je me suis borné à empêcher qu’on imprimât malgré moi une Histoire du roi imparfaite, et qu’on abusât de mes manuscrits. Cette histoire ne doit paraître que de mon aveu, et de celui du ministère, après le travail le plus assidu et l’examen le plus sévère.

Vous me feriez un très-grand plaisir de faire lire le manuscrit que vous avez à M. de Thibouville.

Adieu, mon ancien ami. Le ministre[4] philosophe aura bientôt les remerciements que mon cœur lui doit.

  1. Voyez la lettre 3058.
  2. La lettre 3000 à J.-J. Rousseau.
  3. L’accusation contre le marquis de Ximenès n’était que trop fondée. Voyez la lettre qui suit.
  4. Le marquis d’Argenson.