Correspondance de Voltaire/1755/Lettre 3025

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Correspondance de Voltaire/1755
Correspondance : année 1755GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 471).

3025. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
20 septembre.

Mon cher ange, tout malade que je suis, j’ai lu avec attention le grand Mémoire sur l’Orphelin. J’en fais les plus sincères remerciements au chœur des anges ; mais les forces et le temps me manquent pour donner à cet ouvrage la perfection que vous croyez qu’il mérite, et, du moins, les soins que je lui dois après ceux que vous en avez daigné prendre. Je crois que le mieux serait de ne pas reprendre la pièce après Fontainebleau, de gagner du temps, de me laisser celui de me reconnaître. Songez que je n’ai ni santé ni recueillement d’esprit. Cette cruelle aventure de l’Histoire de 1741, l’injustice de M. de Malesherbes, ses discours offensants et si peu mérités, six mille copies répandues dans Paris d’un ouvrage tout falsifié et qui me fait grand tort, tant de tribulations jointes aux souffrances du corps ; des ouvriers de toute espèce qu’il faut conduire, un voyage à mon autre ermitage[1] qu’il faut faire ; tout m’arrache à présent à l’Orphelin, mais rien ne m’ôtera jamais à vous. Tâchez, je vous en prie, que les comédiens oublient l’Orphdin cet hiver ; mais ne m’oubliez pas. Vous ne m’aimez que comme faiseur de tragédies, et je ne veux pas être aimé ainsi. Vous ne me parlez point de vous, de votre vie, de vos amusements ; vous ne me dites point si vous êtes aussi mécontent que moi de Cadix[2] ; si vous avez été à la campagne cet été. Vous ne savez pas que vos minuties sont pour moi essentielles. Il faut que vous me parliez de vous davantage, si vous voulez que je sois mieux avec moi-même. Adieu ; je vous demande toujours en grâce de faire lire à M. de Thibouville ce que vous savez[3].

  1. Celui de Monrion ; voyez lettre 2843.
  2. Ce fut sans doute en 1755 que Voltaire fit la perte des 80,000 livres dont il est parlé dans une note de la lettre 2713.
  3. La Pucelle, corrigée.