Correspondance de Voltaire/1756/Lettre 3116

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Correspondance de Voltaire/1756
Correspondance : année 1756GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 38 (p. 548-549).

3116. — À M. BERTRAND,
pasteur de l’église française, à berne[1].
À Monrion, 10 février 1756.

Le projet de M. Formey suppose, mon cher philosophe, quelque chose de plus que du courage, s’il veut faire lui seul une encyclopédie ; c’est beaucoup pour un seul homme. S’il veut retrancher de cet ouvrage les mathématiques et les arts, qui en sont le fondement, c’est le réduire à rien, c’est faire un dictionnaire de choses triviales. Joignez à la singularité de ce projet la mauvaise grâce de se servir du travail d’autrui, le risque de le gâter, le soupçon d’avoir fait cette manœuvre par intérêt, et vous m’avouerez alors que ses amis devraient le détourner d’un tel dessein. Le grand nombre de savants qui travaillent à l’encyclopédie s’élèvera contre lui, ils en auront d’autant plus de droit que lui-même se joignit à eux dans les commencements, et se proposa pour les aider dans plusieurs articles de philosophie. Il envoya ses articles, on les lui paya noblement et on s’en servit peu. Vous voyez combien de raisons doivent concourir à lui faire abandonner son idée. Si vous êtes son ami, je pense que vous lui rendriez un vrai service de le détourner d’une telle entreprise, sans me citer et sans alléguer les raisons que je vous apporte.

Le projet de faire un opéra de ma tragédie de Mérope n’est pas si étrange. J’ai été tout étonné de recevoir un gros paquet du roi de Prusse ; il contenait ma tragédie de Mérope, qu’il s’est donné la peine de tourner en vers lyriques, et il m’avertit qu’il faisait cet ouvrage en travaillant à son traité. Voilà une anecdote assez singulière.

J’ai lieu de croire, mon cher monsieur, que vôtre discours sur Lisbonne est imprimé actuellement à Rouen. La personne à qui je l’ai confié m’apprend qu’elle l’a donné à un libraire de ce pays-là. J’espère vous en envoyer bientôt des exemplaires.

Mon sermon en vers[2] ne vaut pas le vôtre en prose, et je ne le crois pas fait pour l’impression. Cependant, si vous voulez vous en amuser avec M. le banneret de Freudenreich et n’en donner aucune copie, j’aurai l’honneur de vous l’envoyer.

Je conviens que le rôle de la France n’est pas brillant à présent ; non illi imperium pelagi sævumque tridentem..

Conservez vôtre amitié à vôtre très-tendre serviteur et malade. V.

  1. Cette lettre, et les suivantes adressées à la même personne, ont été publiées dans le Magasin universel, 1838-1839, tome VI. Elles sont écrites entièrement de la main de Voltaire.
  2. Le Poëme sur le Désastre de Lisbonne.