Correspondance de Voltaire/1757/Lettre 3382

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Correspondance de Voltaire/1757
Correspondance : année 1757GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 234-235).

3382. — DE M. D’ALEMBERT,
À Paris, 21 juillet.

J’ai reçu, il y a déjà quelque temps, mon cher et très-illustre confrère, les articles Magie, Magicien, et Mages, de votre prêtre de Lausanne. J’ai en même temps envoyé votre lettre[1] à Briasson, qui m’a fait dire que vos commissions étaient déjà faites avant qu’il la reçût.

Les articles que vous nous envoyez de ce prédicateur hétérodoxe sont peut-être une des plus grandes preuves des progrès de la philosophie dans ce siècle. Laissez-la faire, et, dans vingt ans, la Sorbonne, toute Sorbonne qu’elle est, enchérira sur Lausanne. Nous recevrons avec reconnaissance tout ce qui nous viendra de la même main. Nous demandons seulement permission à votre hérétique de faire patte de velours dans les endroits où il aura un peu trop montré la griffe ; c’est le cas de reculer pour mieux sauter. À propos, vous faites injure au chevalier de Jaucour de mettre sur son compte l’article Enfer ; il est de notre théologien, docteur et professeur de Navarre[2], qui est mort depuis à la peine, et qui sait actuellement si l’enfer de la nouvelle loi est plus réel que celui de l’ancienne. Au reste, cet article Enfer n’est pas sans mérite : l’auteur y a eu le courage de dire qu’on ne pouvait pas prouver l’éternité des peines par la raison ; cela est fort pour un sorboniste.

Sans doute nous avons de mauvais articles de théologie et de métaphysique ; mais, avec des censeurs théologiens et un privilège, je vous défie de les faire meilleurs. Il y a d’autres articles, moins au jour, où tout est réparé. Le temps fera distinguer ce que nous avons pensé d’avec ce que nous avons dit. Vous serez, je crois, content de notre septième volume, qui paraîtra dans deux mois au plus tard[3].

Les affaires de Bohême ont bien changé de face depuis un mois. Voilà, je crois, ma pension à tous les diables ; mais j’en suis d’avance tout consolé. Si la guerre dure, je ne réponds pas que celles[4] du trésor royal soient mieux payées.

  1. Elle manque à la Correspondance.
  2. Edme Mallet, né à Melun en 1713, mort à Paris le 25 septembre 1755.
  3. Ce volume de l’Encyclopédie ne parut qu’en novembre 1757.
  4. Allusion à la pension dont Voltaire fut toujours très-mal payé par le trésor royal. (Cl.)