Correspondance de Voltaire/1758/Lettre 3682

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Correspondance de Voltaire/1758
Correspondance : année 1758GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 39 (p. 520-521).

3682. — À M.  LE PRÉSIDENT DE BROSSES[1].
Aux Délices, 21 octobre.

Eh bien ! monsieur, vous donnerez donc la préférence à M.  de Fautrière, quid tum si fuscus Amintas ? Si je n’ai pas Tournay, je serai au moins votre voisin, car il faut bien que je vous sois quelque chose. Mais si vous concluez avec M.  de Fautrière, je ne vous serai plus rien. Vous ne viendrez plus dans votre grand bailliage de Gex : vous ne me montrerez point votre Salluste. Je serai privé du bonheur de vous entendre. Ce sera donc. M.  de Fautrière qui sera mon voisin. Je suis bien trompé, ou il possède moins bien que vous ses auteurs latins, italiens et anglais ; et, quelque mérite qu’il puisse avoir, je vous jure que vous serez très-regretté. Je persiste toujours dans le dessein d’avoir des possessions en France, en Suisse, à Genève, et même en Savoie. On dit, je ne sais où, qu’on ne peut servir deux maîtres ; j’en veux avoir quatre pour n’en avoir point du tout et pour jouir pleinement du plus bel apanage de la nature humaine qu’on nomme liberté. J’ai toujours un très-grand regret à Tournay. Tout ce que je désire, si vous ne me le donnez pas, c’est que vous l’aimiez et que vous ne le donniez point à d’autres.

Je voudrais que vous pussiez vous plaire à l’embellir, que vous y bâtissiez, que vous y vinssiez tous les ans ; mais vous n’en ferez rien. Nous avons ici le président de Ruffey[2], et madame sa femme. Nous avons un jeune M.  de Bussy[3], qui vient de nous donner une comédie de sa façon sur notre théâtre, auprès de Genève. Vous voyez que nous devons nos plaisirs aux Dijonnais. C’est d’ailleurs une belle révolution dans les mœurs que des comédies, des danses et de la musique, et surtout de la philosophie, dans le pays où ce brigand de Calvin fit brûler ce fou de Servet au sujet de l’homoousios.

Revenons à Tournay ; si vous ne vous accommodez pas avec M.  de Fautrière, ne m’oubliez pas entièrement. Comptez toujours sur la très-respectueuse estime du libre Suisse V.

  1. Éditeur, Th. Foisset.
  2. M.  Richard de Ruffey, président à la chambre des comptes de Dijon.
  3. Probablement M.  Dagonneau de Bussy, dont l’hôtel à Dijon, rue Chabot-Charny, était situé sur l’emplacement qu’avait occupé autrefois un hospice appartenant au prieuré d’Époisses, fondé en 1185 par le duc Hugues III. Voyez Courtépée, II, 148.(Th. F.)