Correspondance de Voltaire/1760/Lettre 4394

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Correspondance : année 1760
Garnier (Œuvres complètes de Voltaire, tome 41p. 128).
4394. — À M. BERTRAND.
Au château de Ferney, par Genève, 29 décembre.

Je trouve, mon cher monsieur, que le sieur Panchaud a été bien pressé ; je lui avais fait écrire qu’il devait attendre votre commodité[1]. Soyez sûr que pour moi je serai toujours à vos ordres, et que je n’aurai jamais de plus grand plaisir que celui de vous en faire.

J’ignore assez les facéties de Genève ; j’ai oui dire qu’il y avait des cocus, des professeurs galants, des marchands qui tirent des coups de pistolet, des prêtres qui nient la divinité de Jésus-Christ, et qui, avec cela, ne veulent pas être éternellement damnés[2] ; mais je ne me mêle des affaires de cette ville que pour me faire payer les dîmes par les citoyens qui sont mes vassaux. J’ai pourtant rendu un petit service au pays, en chassant les jésuites d’un domaine assez considérable qu’ils avaient usurpé sur six frères gentilshommes suisses de votre canton, nommés MM. de Crassy. Il en coûtera malheureusement quelque chose à un secrétaire d’État de Genève, qui s’était fait le prête-nom des jésuites. L’argent réunit toutes les religions ; je suis tombé à la fois sur Ignace et sur Calvin. Cela ne m’a pas empêché d’envoyer à Manheim le mémoire de votre cabinet ; mais ce que je vous ai prédit est arrivé : le temps n’est pas propre.

Je vous souhaite des années heureuses, c’est-à-dire tranquilles : car pour des plaisirs vifs, je ne crois pas qu’ils soient de la compétence du mont Jura. Pourtant un de mes plaisirs les plus vifs serait de pouvoir assurer encore de vive voix M. et Mme de Freudenreich de mon inviolable et tendre reconnaissance, et d’embrasser en vous un des plus dignes amis que j’aie jamais eus. V.

  1. Il s’agit ici d’argent prêté par Voltaire à son ami.
  2. Voyez ci-dessus, page 123.