Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4934
Il y a longtemps, monsieur, que je vous dois des remerciements ; une maladie assez longue et assez fâcheuse ne m’a pas permis de remplir ce devoir.
Vous faites voir qu’on peut tout traduire, puisque vous traduisez les poëtes allemands. L’auteur d’Adam[1] n’est pas, comme son héros, le premier homme du monde ; je suis d’ailleurs un peu fâché pour notre mangeur de pomme qu’à l’âge de neuf cent trente ans il fasse tant de façons pour mourir. Si Dieu daigne m’accorder les trois vingtièmes des années de notre père, je vous donne ma parole de mourir très-gaiement ; et je vous prie de vouloir bien alors m’aider à passer, en traduisant tout doucement quelque ouvrage plus plaisant que les lamentations du mari d’Ève, qui devait savoir que tout ce qui est né est fait pour mourir, puisqu’il avait la science infuse.
Au reste, vous écrivez si bien que je vous exhorte à vous faire traduire, au lieu de traduire des tragédies allemandes. Je fais mes compliments à votre pupille, et je vous en fais à tous deux de vivre l’un avec l’autre. Je serai très-fâché quand Mme d’Albertas[2] quittera notre petit pays, où elle est adorée.