Correspondance de Voltaire/1762/Lettre 4991

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Correspondance : année 1762GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 42 (p. 195-197).

4991. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
4 auguste.

Mes divins anges, voici ce que je dis à votre lettre du 27 juillet : C’est une lettre descendue du ciel ; mes anges sont les protecteurs de l’innocence, et les ennemis du fanatisme. Ils font le bien, et ils le font sagement. J’envoie au hasard des mémoires, des projets, des idées. Mes anges rectifient tout ; il faudra bien qu’ils viennent à bout de réprimer des juges de sang, et de venger l’honneur de la France. J’ai toujours mandé qu’on ne trouverait jamais d’huissier qui osât faire une sommation au greffier du parlement toulousain, après que ce parlement a défendu si sévèrement la communication des pièces, c’est-à-dire de sa honte. Comment trouverait-on un huissier à Toulouse qui signifiât au parlement son opprobre, puisque je n’en ai point trouvé en Bourgogne qui osât présenter un arrêt du conseil au sieur de Brosses, président à mortier ? J’en aurais trouvé dans le siècle de Louis XIV.

Mes anges sont adroits ; ils ont gagné le coadjuteur. Hélas ! il est bien triste qu’on soit obligé de prendre des précautions pour faire paraître deux lettres[1] où l’on parle respectueusement des moins respectables des hommes, et où la vertu la plus opprimée s’exprime en termes si modestes !

Enfin nous sommes environ cent mille hommes qui nous remettons de tout aux deux anges.

Les Anglais commencent une magnifique souscription dont les Calas ont déjà ressenti les effets.

On a écrit à Lavaysse père une lettre[2] qui doit le faire rentrer en lui-même, ou plutôt l’élever au-dessus de lui-même.

Il faut qu’il abandonne une ville superstitieuse et barbare, aussi ridicule par ses recueils des jeux floraux que par ses pénitents des quatre couleurs. Il trouvera des secours honorables qui l’empêcheront de regretter son barreau. Je supplie mes anges de vouloir bien envoyer le paquet ci-joint à M. le maréchal de Richelieu.

Je me jette aux pieds de Mme  d’Argental, et je la remercie du bateau[3] qui parera la table de Tronchin. Elle est trop bonne. C’est de Mme  d’Argental dont je parle, et non de la table du docteur.

J’ai lu un factum d’Élie pour des Bourguignons contre un médecin irlandais. Depuis ma maladie, j’aime assez les médecins ; mais ce factum ne me fait pas aimer les Irlandais. Je prie mes anges de vouloir bien dire à Élie le moderne[4] que je le préfère à Élie l’évêque de Jérusalem l’infâme, et à l’Élie évêque de Paris la folle.

Mais est-il bien vrai que l’Élie de Paris, ce Beaumont à billets de confession, ait osé mettre au séminaire, pour deux ans[5], le curé de Saint-Jean-de-Latran, pour avoir prié Dieu ? Quoi ! il ne sera pas même permis aux acteurs pensionnés du roi de faire dire des psaumes pour un homme qui les a fait vivre ? Eh ! que deviendrai-je donc ? Quoi ! il n’y aura point pour moi de Libéra ? Oh ! je crierai pendant ma vie, si on ne veut pas brailler pour moi après ma mort.

Mes divins anges, je ne vous parle ni de Cassandre ni du Droit du Seigneur ; il fait trop chaud.

J’ai Crébillon sur le cœur. Ses vers étaient durs ; mais Beaumont l’archevêque l’est davantage.

  1. L’extrait de la lettre de Mme  veuve Calas et la lettre de Donat Calas, publiés sous le titre de Pièces originales, etc. ; voyez tome XXIV, page 365.
  2. N° 4951.
  3. Voyez lettre 4968.
  4. Élie de Beaumont.
  5. Il n’y était que pour trois mois ; voyez lettre 4969.