Correspondance de Voltaire/1763/Lettre 5423

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Correspondance : année 1763GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 1).

5423. — À M.  PIERRE ROUSSEAU.
1er octobre.

Je peux vous assurer, monsieur, que je partage vos peines autant que j’estime votre journal ; il m’a fait tant de plaisir que, depuis un an, c’est le seul que je fasse venir, et que j’ai renvoyé tous les autres : soyez encore très-sûr qu’on a arrêté pendant plus d’un mois tous les imprimés qui venaient de Genève. La Lettre d’un homme[1] qui porte votre nom peut en avoir été la cause ; on peut encore avoir eu d’autres raisons. Je me servirai de l’adresse que vous me donnez, dès que j’aurai quelque chose qui pourra convenir à votre greffe. Il y a un excellent ouvrage qui paraît à Lyon depuis quelques jours, sous le titre d’Avignon : c’est une Lettre d’un avocat à l’archevêque de Lyon, concernant la légitimité du prêt à intérêt[2] ; on y confond l’insolence fanatique de quelques pères de l’Oratoire, chargés aujourd’hui de l’éducation de la jeunesse lyonnaise. Ces énergumènes, plus intolérants et plus intolérables que les jésuites, voulaient faire regarder l’intérêt de l’argent comme un péché, et immoler Lyon au jansénisme. Je vais écrire à l’auteur pour l’engager à vous envoyer l’ouvrage par la voie de M. Naudet. Je ne sais si vous savez que six cents citoyens de Genève ont fait coup sur coup quatre protestations contre le jugement du conseil qui a fait brûler l’Émile de Jean-Jacques ; ils disent qu’un citoyen de Genève est en droit de tourner en ridicule la religion chrétienne tant qu’il veut, et qu’on ne peut le condamner qu’après avoir conféré amiablement avec lui. Cela est assez plaisant dans la ville de Calvin : un temps viendra où il arrivera la même chose dans la ville[3] où l’on prétend que Simon Barjone a été crucifié la tête en bas.

  1. Jean-Jacques Rousseau, etc., à Christophe de Beaumont, etc.
  2. Lettre à M. l’archevêque de Lyon (sur le prêt à intérêt, par A.-F. Prost de Boyer), 1763, in-8o. Voltaire fit réimprimer l’ouvrage en 1769, dans le tome Ier des Choses utiles et agréables.
  3. Rome.