Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5627

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Correspondance : année 1764GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 193-195).

5627. — À M. L’ABBÉ D’OLIVET.
Au château de ferney, 25 avril.

Mon cher maître, votre grave magistrat a l’air d’avoir la gravité des chats-huants. Ils ont la mine sérieuse, et ils craignent que les oiseaux ne leur donnent des coups de bec. Il ne veut donc pas


Qu’on découvre en riant la tête de Midas[1] ?


Il faut qu’il ait ses raisons. Non, l’agriculture n’est point un sujet riant pour des Parisiens. Ils ne savent pas la différence d’un sillon à un guéret, mais ils se connaissent en ridicule : malheur à qui chanterait Cérès, au lieu de rire des sots !

Je voudrais que vous lussiez l’Appel aux Nations[2], au sujet de notre procès du théâtre de Paris contre le théâtre de Londres. J’ai été malheureusement le premier qui aie fait connaître en France la poésie anglaise. J’en ai dit du bien, comme on loue un enfant maussade devant un enfant qu’on aime, et à qui on veut donner de l’émulation ; on m’a trop pris à mon mot.


Biaux chires leups, n’écoutez mie
Mère tenchent chen fieux qui crie.

(La Fontaine, liv. IV, fab. xvi.)

L’archidiacre est l’agresseur[3] ; il a donc tort. Ne pouvait-il pas louer Lamotte et son Œdipe en prose, sans attaquer gens qui ont bec et ongles ? Ce monde-ci est une guerre ; j’aime à la faire, cela me ragaillardit.


Qui me commorit (melius non tangeIlle
Qui me commorit ( melius non tangere, clamo)
Flebit, et insignis tota cantabitur urbe.

(Hor., lib. II, sat. i, v. 44-46.)


Il n’y a rien de si dangereux qu’un homme indépendant comme moi, qui aime à rire, et qui hais les sots ; mais je ne mets pas l’archidiacre au rang des sots, et, après l’avoir pincé tout doucement, je lui accorde généreusement la paix.

Mon cher maître, il y a longtemps que nous sommes dans le siècle du petit esprit ; celui du génie est passé.

Tout est devenu brigandage ; sauve qui peut ! C’est bien assez qu’il y ait eu un siècle depuis la fondation de la monarchie ; Rome n’en a eu qu’un[4]. Il n’y a pas de quoi crier : Buvons gaiement la lie de notre vin !

À propos, je suis fâché que nous mourrions sans nous revoir.


Urbis amatorem Olivetum salvere jubemus
Ruris amatores.

(Hor., lib. I, ep. x.)

  1. Vers de Voltaire dans son Èpître à Mme Denis sur l’Agriculture ; voyez
    tome X.
  2. Tome XXIV, page 191.
  3. Voyez, lome XLI, page 285, ce qu’il avait dit de la Henriade.
  4. Voltaire n’a pas oublié le siècle des Médicis ; mais cette dénomination qu’il