Correspondance de Voltaire/1764/Lettre 5635

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5635. — À M.  LE MARQUIS ALBERGATI CAPACELLI[1].
Aux Délices, 3 mai.

Si j’avais de la santé et des yeux, monsieur, je vous aurais répondu plus tôt ; si j’étais jeune, je viendrais sûrement vous voir, vous embrasser, admirer vos talents, être témoin de la protection que vous donnez aux arts, et partager vos plaisirs. Une si grande satisfaction n’est pas faite pour la fin de ma vie ; je suis réduit à pouvoir à peine dicter une lettre.

Oserai-je vous supplier de vouloir bien faire mes compliments à MM. Fabri et Paradisi[2], à qui je dois autant de reconnaissance que de rimes ?

Je suis toujours étonné que vous ayez traduit la tragédie d’Idomènèe[3]. Il me semble qu’un bon peintre comme vous ne doit copier que les ouvrages des Raphaëls. Il vous était aisé de vous faire informer par M. Goldoni si cet Idoménée est au rang des pièces qu’on représente, si ce n’est pas un très-mauvais ouvrage, pardonnable à la jeunesse d’un auteur qui depuis fit de meilleures choses. En vérité, il n’est pas permis au traducteur de Phèdre d’être celui d’Idomènée. Il vaudrait beaucoup mieux retrancher cette pièce de votre recueil, que de faire dire aux critiques que l’on a traduit également le bon et le mauvais. Pardonnez au vif intérêt que je prends à vous, si je vous parle si librement.

Je vous ai déjà mandé, monsieur, que je n’avais depuis longtemps aucune nouvelle de M. Goldoni ; mais j’espère toujours que j’aurai le plaisir de le voir, quand il reviendra en Italie. Je ne sais s’il travaille pour nos comédiens italiens, qui se sont unis à un opéra-comique qui a, dit-on, beaucoup de succès. C’est un spectacle fort gai et fort amusant, mais qui consiste principalement en chansons et en danses. Cela ne me paraît pas du ressort de M. Goldoni, dont le talent est de peindre les mœurs. Cependant je me flatte toujours que son voyage lui sera utile et agréable.

Un homme[4] de la maison de la belle Laure a fait des commentaires sur la vie de Pétrarque en deux énormes volumes in-4°. Je ne sais si vous les avez lus ; je serais bien plus curieux de lire les deux petits volumes que vous me promettez.

Adieu, monsieur, toutes vos lettres redoublent les sentiments de la tendre et respectueuse estime que vous m’avez inspirée pour vous.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Traducteurs de quelques tragédies de Voltaire.
  3. De Crébillon.
  4. L’abbé de Sade.