Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 5947

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Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 43 (p. 494-495).

5947. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
17 mars.

Divins anges, la protection que vous avez donnée aux Calas n’a pas été inutile. Vous avez goûté une joie bien pure en voyant le succès de vos bontés. Un petit Calas était avec moi quand je reçus votre lettre, et celle de Mme Calas, et celle d’Élie, et tant d’autres : nous versions des larmes d’attendrissement, le petit Calas et moi. Mes vieux yeux en fournissaient autant que les siens ; nous étouffions, mes chers anges. C’est pourtant la philosophie toute seule qui a remporté cette victoire. Quand pourra-t-elle écraser toutes les têtes de l’hydre du fanatisme !

Vous me parlez des roués, mais le roué Calas est le seul qui me remue. Seriez-vous capable de descendre à lire de la prose au milieu de la foule des vers dont vous êtes entourés ? Voici le commencement d’une espèce d’histoire ancienne[1] qui me paraît curieuse. Si elle vous fait plaisir, je tâcherai d’en avoir la suite pour vous amuser ; elle a l’air d’être vraie, et cependant la religion y est respectée. N’engagerez-vous pas le frère Marin à en favoriser le débit ? Je crois que les bons entendeurs pourront profiter à cette lecture ; il y a en vérité des chapitres fort scientifiques, et le scientifique n’est jamais scandaleux.

Je crois qu’on tousse par tout le royaume ; nous toussons beaucoup sur la frontière ; c’est une épidémie. Nous espérons bien que M. Fournier[2] empêchera l’un de mes anges de tousser. Tout Ferney, qui est sens dessus dessous, est à vos pieds. Et pourquoi est-il sens dessus dessous ? C’est que je suis maçon : je bâtis comme si j’étais jeune ; mais le travail est une jouissance.

Me sera-t-il permis de vous présenter encore un placet pour un passe-port ? Les Genevois m’accablent, parce que vous m’aimez ; mais je serai sobre sur l’usage que je ferai de vos bontés. Encore ce petit passe-port, je vous en conjure, et puis plus ; vous me ferez un plaisir bien sensible ; vous ne vous lassez jamais d’en faire.

  1. La Philosophie de l’Histoire. qui forme aujourd’hui l’Introduction à l’Essai sur les Mœurs.
  2. Médecin de Mme d’Argental.