Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6170

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Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 126-127).

6170. — À MADAME LA VEUVE DUCHÈNE[1].
Au château de Ferney, par Genève, 30 novembre 1765.

M. de Voltaire ayant lu la Iragédie intitulée Adélaïde du Guesclin, que Mme Duchêne a imprimée, la prie très-instamment d’ajouter à la pièce la feuille qu’il lui envoie. Il est de l’intérêt


de Mme Duchêne de faire cette addition. Il lui fait ses compliments.

L’auteur, en lisant cette pièce dont il n’a pu ni voir la représentation ni conduire l’impression, a été étonné d’y trouver des vers qui non-seulement ne sont pas de lui, mais que même il ne peut entendre.

On trouve à la page 30 :


Non, c’est pour obtenir une paix nécessaire.
Gardez d’être réduit au hasard dangereux
Que les chefs de l’État ne trahissent leurs vœux.


Il ne sait ni de quels chefs de l’État, ni de quels vœux on veut parler : ce vers ne lui a pas paru intelligible. Apparemment que les comédiens ayant fait ce qu’ils appellent des coupures, ils ont fait aussi ce vers, que l’auteur ne comprend pas.

Il y a dans son manuscrit :


Non, c’est pour obtenir une paix nécessaire.
Les Anglais la feront, et peut-être sans vous.
Laissez à l’intérêt désarmer le courroux.
Tous les chefs de l’État, lassés de ces ravages,
Cherchent un port tranquille après tant de naufrages.
Ne vous exposez point au hasard dangereux
De vous voir ou trahir ou prévenir par eux.


L’habitude où sont les acteurs de faire ainsi des changements à la plupart des pièces qu’ils jouent les oblige quelquefois à gâter le style. On ne s’en aperçoit pas à la représentation ; les libraires impriment sur la copie qui est entre les mains des comédiens, de sorte qu’une pièce tolérée au théâtre devient très-défectueuse à la lecture : ce qui fait tort également à l’intérêt de l’éditeur et au soin que tout écrivain doit avoir de son art, quelque peu de cas qu’il fasse de ses ouvrages.

Cet avertissement est indispensable.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.