Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6188
Je croyais, monsieur, être guéri de la vanité à mon âge ; mais je sens que j’en ai beaucoup avec vous. Non-seulement vous avez flatté mon amour-propre en parlant de la bonne Gertrude[1], mais j’en ai encore davantage en lisant votre Fée Urgèle[2], car je crois avoir deviné tous les endroits qui sont de vous. Tout ce que vous faites me semble aisé à reconnaître ; et lorsque je vois à la fois finesse, gaieté, naturel, grâces et légèreté, je dis que c’est vous, et je ne me trompe point. Vous êtes inventeur d’un genre infiniment agréable ; l’opéra aura en vous son Molière, comme il a eu son Racine dans Quinault. Si quelque chose pouvait me faire regretter Paris, ce serait de ne pas voir vos jolis spectacles, qui ragaillardiraient ma vieillesse ; mais j’ai renoncé au monde et à ses pompes. Vous n’avez pas besoin du suffrage d’un Allobroge enterré dans les neiges du mont Jura. Quand il y aura quelque chose de votre façon, ayez pitié de moi.
J’ai l’honneur d’être, avec tous les sentiments que je vous dois, etc.