Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6404

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 339-340).

6404. — À M.  DAMILAVILLE.
Aux eaux de Rolle, en Suisse, 14 juillet.

Vous allez être bien étonné : vous allez frémir, mon cher frère, quand vous lirez la Relation[1] que je vous envoie. Qui croirait que la condamnation de cinq jeunes gens de famille[2] à la plus horrible mort pût être le fruit de l’amour et de la jalousie d’un vieux scélérat d’élu[3] d’Abbeville ? La première idée qui vient est que cet élu est un grand réprouvé ; mais il n’y a pas moyen de rire dans une circonstance si funeste. Ne saviez-vous pas que plusieurs avocats ont donné une consultation[4] qui démontre l’absurdité de cet affreux arrêt ? Ne l’aurai-je point, cette consultation ?

On dit que le premier président leur en a voulu faire des reproches, et qu’ils lui ont répondu avec la noblesse et la fermeté dignes de leur profession. C’est une chose abominable que la mort des hommes, et que les plus terribles supplices dépendent de cinq radoteurs qui l’emportent, par la majorité des voix, sur les dix conseillers du parlement les plus éclairés et les plus équitables. Je suis persuadé que si Sa Majesté eût été informée du fond de l’affaire, elle aurait donné grâce : elle est juste et bienfaisante ; mais la tête avait tourné aux deux malheureux, et ils se sont perdus eux-mêmes.

Je vous conjure, mon cher frère, d’envoyer à M.  de Beaumont copie de la Relation, avec le petit billet que je lui écris.

Je vous embrasse avec autant de douleur que de tendresse.

Est-ce qu’on a brûlé les Délits et les Peines ?

  1. La Relation de la mort du chevalier de La Barre ; voyez tome XXV, page 501.
  2. Voyez la note de la page 343.
  3. Il s’appelait Belleval ; voyez tome XXV, page 505.
  4. Voyez une note sur la lettre 6410.