Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6416

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Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 350-351).

6416. — À M.  LE MARQUIS DE VILLEVIEILLE.
18 juillet.

En vérité, monsieur, vous avez adouci mes maux et prolongé ma vie en me gratifiant de ces dix paquets de la poudre des chartreux. Je n’ai qu’une seule prise de la poudre des pilules de Prusse[1].

Oui, sans doute, il faut faire une seconde édition de cet ouvrage, et il y en aura plus d’une. L’Avant-propos est violent : cet avant-propos est du roi : il n’y a qu’un seule faute, mais elle est grave, et sera relevée par les ennemis de la raison. Il y parle d’une falsification d’un passage dans l’évangile de Jean. L’on prétend que ce n’est point ce passage de l’évangile qui a été falsifié, mais bien deux endroits d’une épître[2]. Le corps de l’histoire est de l’abbé de Prades ; il a besoin de beaucoup de corrections et d’additions. On m’a parlé de quelques autres ouvrages qui paraissent. Je remercie ceux qui nous éclairent ; mais je tremble pour eux, à moins qu’ils ne soient des rois de Prusse. La Relation[3] que je vous envoie vous fera frémir comme moi : l’Inquisition aurait été moins barbare.

La postérité ne concevra pas comment les gentilshommes d’une province ont laissé immoler d’autres gentilshommes par des bourreaux, sur un arrêt de vingt-cinq bourreaux en robe, à la pluralité de quinze voix contre dix. C’était bien là le cas au moins de faire des représentations à ceux qui en font tous les jours de si violentes pour des sujets bien moins intéressants.

Je souhaite passionnément, monsieur, d’avoir l’honneur de vous revoir. Je crois avoir retrouvé en vous un autre marquis de Vauvenargues. Vous me consolerez de sa perte, et des atrocités religieuses qu’on commet encore dans un siècle qui n’était pas digne de lui. Je vous attends, monsieur, avec l’attachement le plus tendre et le plus respectueux.

  1. Les pilules de Prusse sont l’Abrégé de l’Histoire ecclésiastique (voyez lettre 6252). Quant à la poudre des chartreux (dont il est déjà parlé dans la lettre 6360), je ne sais ce que ce peut être. (B.)
  2. Voyez une note de la lettre 6414.
  3. La Relation de la mort du chevalier de La Barre ; voyez tome XXV, page 501.