Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6523

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Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 450-451).

6523. — À M.  DAMILAVILLE.
26 septembre.

Vous semblez craindre, mon cher ami, par votre lettre du 23, que l’on ne fasse quelque difficulté sur le bel exorde que vous avez mis à votre certificat ; je ne vous en ai pas moins d’obligation, et je la sens dans le fond de mon cœur. Je compte faire imprimer ce certificat[1] avec les autres, que j’enverrai à tous les journaux ; je n’aurai pas de peine à confondre la calomnie. Il me semble que nous sommes dans le siècle des faussaires ; mais mon étonnement est que les faussaires soient si maladroits. Comment peut-on insérer, dans des lettres déjà publiques, des impostures si atroces et si aisées à découvrir ? Ce qui me fâche beaucoup, c’est que ces lettres se vendent à Genève. Mme  la comtesse de Brionne[2], qui daigne venir à Ferney, ne sera-t-elle pas bien régalée de ce beau libelle ? Elle y trouvera sa maison outragée.

Je ne sais où prendre ce M. Deodati, qui me doit un témoignage authentique de la vérité : c’est à lui qu’est écrite la lettre si indignement falsifiée. Je n’ai point reçu de réponse à la lettre que je lui ai écrite[3] : il faut ou qu’il ne soit point à Paris, ou qu’il soit malade, ou qu’il ne sache pas remplir les premiers devoirs de la société. Ma famille juge que la chose est importante. Je serai peut-être obligé de m’adresser à monsieur le lieutenant de police. Je connais votre cœur, mon cher ami ; vous mettrez de l’empressement à trouver ce Deodati, et à lui faire remplir son devoir. Voilà une fort sotte affaire ; mais la plupart des affaires de ce monde sont fort sottes ; on est bien heureux quand l’atrocité ne se joint pas à la sottise.

Je vous ai déjà mandé que M. le duc de Choiseul et M. le duc de Praslin souhaitaient M. Chardon pour rapporteur. J’ignore les sentiments présents de M. de Beaumon sur ce choix ; mais le point principal est l’impression de son mémoire. Je me flatte que M. d’Argental en aura le premier exemplaire.

Il me semble que le temps est favorable pour faire imprimer cet ouvrage, et pour disposer les esprits. L’automne est un temps d’indolence et de désœuvrement, pendant lequel on est avide de nouveautés.

Vous savez sans doute que le sieur Saucourt, juge d’Abbeville, n’a pas voulu juger les autres accusés, et l’on croit qu’il se démettra de sa place : c’est ainsi qu’on se repent après que le mal est fait.

J’attends votre paquet, dans lequel j’espère trouver des consolations. Si M. Boulanger, auteur du bel article Vingtième[4], vivait encore, il serait bien étonné que le blé coûte quarante francs le setier, et qu’on n’y met point ordre. Tout va comme il plaît à Dieu.

Adieu, mon cher ami ; je suis bien malade. Je vous répète que je serai très-fâché de mourir sans avoir vu Platon, et surtout sans vous avoir revu avec lui. Je vous embrasse de toutes les forces qui me restent. Écr. l’inf…

Voulez-vous bien envoyer cette lettre au libraire Lacombe ? Il y a aussi une lettre à lui adressée dans ce maudit recueil, et Lacombe sera sans doute plus honnête que Deodati. Bonsoir, mon très-cher ami.

  1. C’est celui qui est tome XXV, page 580.
  2. Voyez un quatrain de Voltaire sur le buste de Mme  de Brionne, tome XLIII, page 235.
  3. Voyez lettre 6491.
  4. Cet article de l’Encyclopédie est, nous l’avons dit, de Damilaville ; mais pour ne pas compromettre son auteur, chef du bureau des vingtièmes, on l’avait mis sur le compte de feu Boulanger, Voltaire n’ignorait pas cette supposition de personnes.